Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 48

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LES ACTES NUISIBLES À LA VIE EN SOCIÉTÉ
effet, on y voit se dessiner l'idée qu'il existe d'une part un corps social composé
d'individus indéterminés, qui possèdent des droits ontologiquement attachés à
leur nature. D'autre part, se trouvent des institutions politiques auxquelles la
Déclaration impose des principes de bonne gouvernance. A contrario si ces pouvoirs
- exécutif et législatif - venaient à outrepasser les limites qui leur ont été
imposées, il revient au corps social de se ressaisir de ses droits - en 1789, seul le
droit de résistance à l'oppression semble être prévu à cet effet39
.
60. Toutefois, c'est en tant que citoyens que les individus qui composent le
corps social s'adresseront au pouvoir politique pour exiger le respect de leurs
droits bafoués. Ce qui est relativement étrange puisque l'individu qui est présent
dans la société n'est pas forcément un citoyen. Déjà parce que la société n'est pas
le lieu privilégié de la citoyenneté. Ensuite, parce que tous les individus qui composent
le corps social ne sont pas des citoyens actifs : les femmes, les hommes de
moins de 21 ans, les hommes qui ne payent pas le cens, les incapables, en sont
autant d'exemples. Néanmoins, le propre des droits de l'homme est qu'ils sont
attachés à la nature humaine. Ils n'opèrent pas de distinction, dans l'espace civil,
entre le citoyen et celui, ou celle, qui ne l'est pas. Leur universalité transcende le
statut politique de l'individu ; ils sont donc ce qui agrège la société, par-delà la
citoyenneté. Dans l'hypothèse où ces droits seraient enfreints, les citoyens actifs
seraient admis à jeter un pont entre le monde civil et la sphère politique, afin de
réclamer le respect des droits, en lieu et place de la société. Ce qui présuppose que
la société soit politiquement organisée pour pouvoir faire face à la force de
contrainte qui est son pendant, à savoir l'État. Cette organisation de la société se
précisera au xixe
dicats, de la presse40
siècle avec le développement en son sein d'associations, de syn,
etc. C'est-à-dire une multitude de contrepouvoirs qui s'organisent
au sein de la société civile et sur lesquels l'État n'aura de cesse de faire
peser son contrôle.
61. Ce postulat oblige à reconnaître qu'il existe deux strates au sein de la vie
juridique moderne - il en existe même une troisième, qui n'est pas concernée pour
l'instant, à savoir la sphère privée. D'un côté, la société civile, au sein de laquelle
l'individu trouve à réaliser ses besoins personnels, tout en jouissant de ses droits
d'homme et de citoyen. De l'autre, les institutions politiques de l'État, chargées de
donner une effectivité à ces droits qui sont protégés par la Constitution.
On retrouve cette dualité dans l'ensemble des quatre articles qui utilisent le
terme « Société ». À ce titre, il est bénéfique d'en faire une lecture croisée. Si l'on
s'en tient d'abord à l'article 4 de la Déclaration : « La liberté consiste à pouvoir
faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». De plus, la loi sera la seule à pouvoir borner
les droits naturels, puisque c'est elle qui les a absorbés pour leur donner une
portée normative. Ce qui signifie que le législateur devra assurer la paix sociale
pour que chacun puisse jouir de ses droits au sein de la société libérale qui se dessine.
Mais pour ne pas donner une latitude trop grande au législateur, il convenait
aussi de lui imposer une limite. C'est l'article 5 qui s'en charge. C'est pourquoi la
loi ne peut défendre que les actions nuisibles à la société. En d'autres termes, le
39. DESMONS (E.), « Droit de résistance et histoire des idées », Pouvoirs, n° 155, 2015/4,
p. 29-40.
40. SAINT-BONNET (F.), « Le combat pour les libertés publiques à la fin du Second Empire.
Les " libertés sociales " comme dépassement de l'alternative entre libertés individuelles et libertés
politiques », Jus Politicum, vol. 3, 2011, p. 1-19.

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