Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 160 - Les actes nuisibles à la vie en société - 61

LA SOCIÉTÉ DANS LA DÉCLARATION DE 1789. VERS L'ÉMERGENCE D'UN ESPACE SOCIAL TIERS 45
ce sens, et pour reprendre les mots de Kant, il est « dans un état de minorité, qui
caractérise sur le plan politique les membres du tiers »113
. Paradoxalement, si la
bourgeoisie ne connaissait pas la liberté des anciens - une liberté-participation -
elle n'éprouvait pas encore ce que l'on nommera bientôt la liberté des modernes,
soit une liberté-autonomie. En effet, l'homme bourgeois du xviiie
siècle n'est pas
encore totalement libre dans sa sphère personnelle. Il est obligé par des devoirs,
notamment fiscaux, plus qu'il n'a de droits. Ce phénomène peut éventuellement
justifier la réticence qu'ont eue les premiers constituants, ceux de 1789, à rédiger
une Déclaration qui aurait imposé autant de devoirs qu'elle aurait attribué de
droits. La dynamique de la Révolution n'était pas encore acquise à cette cause.
88. Ce constat aurait pu s'arrêter là, mais c'était sans compter le fait que le
xviiie siècle voit naître au sein des villes « la force de l'opinion »114
. C'est au sein de différentes enceintes, que
a conduit ces hommes à
. L'opinion
d'une bourgeoisie majoritairement lettrée, capable de penser et d'objectiver le
pouvoir. Il est important de préciser que cette opinion est en grande partie celle
« d'un public cultivé (...) avant tout de Paris, réuni, rassemblé autour des publicistes
et des idées réformatrices »115
sont les salons, les loges, les clubs, que le public bourgeois éclairé est amené à se
rencontrer et à instaurer une défiance envers le pouvoir monarchique qui l'a tenu
éloigné du pouvoir politique. Cet état de minorité116
recréer, au sein de la sphère publique, leur propre espace politique, ce qu' Habermas
appela l'espace public.
89. Pourtant, comme le notent François Furet et Denis Richet, contrairement
à ce que l'on peut penser, il n'est pas question pour la bourgeoisie de 1789
de vouloir renverser le régime. Elle veut avant tout des réformes117
.
Mais les réformes souhaitées sont précisément celles dont le pouvoir royal est
incapable. Au-delà du mythe des droits de l'homme, il convient de souligner que
c'est la question des finances qui « noue l'ensemble des contradictions sociales de
l'Ancien Régime »119
; à commencer par l'inégalité devant l'impôt qui est au fondement
même de l'édifice féodal. Le tiers est grevé de charges, alors que la noblesse
en est partiellement exemptée. Naturellement, les premiers veulent l'abolition de
ce privilège quand les seconds souhaitent pouvoir le conserver. Comment donc
une bourgeoisie enrichie, qui possède une influence sociale non négligeable et une
capacité à penser le monde dans lequel elle évolue, peut-elle encore être exclue du
pouvoir décisionnel, tout en continuant à accepter l'injustice fiscale qui la frappe ?
90. Il faut ajouter qu'entre le xviie
chique avait entrepris de domestiquer une partie de la noblesse française120
et le xviiie siècles l'absolutisme monar.
Ce
113. FRYDMAN (B.), « Habermas et la société civile contemporaine », FRYDMAN (B) (dir.),
La société civile et ses droits, op. cit., p. 125-126.
114. FURET (F.) et RICHET (D.), La Révolution française, op. cit., p. 21.
115. Ibid.
116. KANT (E.), Qu'est-ce que les Lumières ?, Paris, Hatier, 2012, p. 5.
117. FURET (F.) et RICHET (D.), La Révolution française, op. cit., p. 23.
118. BUCHEZ (P.-J.-B.), ROUX (P.-C.), Histoire parlementaire de la Révolution française. Depuis
1789 jusqu'en 1815, Paris, Librairie Paulin, Tome 20, 1834-1838, p. 271.
119. FURET (F.) et RICHET (D.), La Révolution française, op. cit., p. 49.
120. ELIAS (N.), La société de cour, Paris, Flammarion, Champs essais, 2008, 338. p.
. Pour anecdotique
qu'elle soit, cette citation de Camille Desmoulins semble énoncer le fait que
le premier élan révolutionnaire n'est pas celui de la table rase : « Nous n'étions
peut-être pas à Paris dix Républicains le 12 juillet 1789 »118

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