Bibliothèque de droit social - Tome 81 - Le juge et l'accord collectif de travail - 63

L'INTERPRÉTATION JUDICIAIRE DE L'ACCORD COLLECTIF : PERSPECTIVE INTERNE
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Il n'est pas question de retracer de façon diachronique la manière dont le
juge interprète et a interprété l'accord collectif de travail depuis ses origines. Il
s'agit de mettre à l'épreuve les idées communément admises aujourd'hui sur le
travail interprétatif du juge, de confronter le fruit de notre analyse et le modèle
intégré - aujourd'hui et de façon générale - par la doctrine.
Tâche délicate ensuite car, lorsqu'il s'agit d'analyser la démarche du juge et de
repérer dans les décisions examinées les modes d'interprétation qu'il mobilise, il est
rare de pouvoir s'appuyer sur des indices concrets, explicites, pour recomposer le
raisonnement qui a pu être celui des juges pour résoudre un problème lié à l'interprétation
d'une disposition d'un accord collectif. Il est permis d'affirmer que les
motivations des décisions ne font pas apparaître de façon évidente, limpide, les raisons
de l'interprétation. Le plus souvent, l'on ne relève aucune trace des modes
mobilisés, des principes retenus pour interpréter la disposition en cause. Ce qu'il
faut s'attacher à faire, d'une certaine façon, c'est lire entre les lignes pour identifier
les arguments qui ont convaincu le juge de se prononcer en faveur de telle ou telle
interprétation, et surtout déceler pourquoi ces arguments-là ont été déterminants. Il
nous a fallu déchiffrer les motivations, démêler les arguments - implicites le plus
souvent - pour discerner, révéler, les raisons de l'interprétation. Sans oublier de
faire preuve de méfiance. C'est que le texte de l'arrêt ne reflète pas toujours les raisons
véritables qui ont incité les juges à se prononcer en faveur de l'interprétation
retenue, l'argument réellement décisif n'étant pas toujours celui qui semble être mis
en avant97
. De l'attention, et de la prudence donc.
68. Des modes d'interprétation. Repérer les modes d'interprétation dans
notre panel de décisions judiciaires, voilà circonscrit l'objet de notre étude à ce
stade. Une précision terminologique au préalable. Nous avons choisi d'utiliser
principalement le terme « mode » d'interprétation, le préférant à d'autres qualifications
telles que « méthode » ou « règle ». Pourquoi ce choix ? Parce que ces
dernières qualifications semblent renvoyer à des données objectives. Derrière ces
termes, semble se cacher l'idée qu'une « méthode », une « règle », d'interprétation
pourrait être objectif. Or, aucun mode d'interprétation ne l'est. Pour illustrer
notre propos, prenons le cas de l'interprétation téléologique. Ce mode d'interprétation
consiste à rechercher la finalité du texte pour déterminer son sens (un sens).
Mais se prononcer en faveur d'une finalité spécifique plutôt qu'une autre est déjà
une interprétation, une construction. Dans le même sens, lorsque l'interprète opte
97. François Ost et Michel Van de Kerchove, réalisant un travail de repérage des directives
d'interprétation dans la jurisprudence belge, ont mis en avant les phénomènes de refoulement de
l'interprétation et de distorsion entre les mots et les pratiques. Le premier de ces phénomènes correspond
à la discrétion des juges à propos des méthodes d'interprétation adoptées et donc au caractère peu
explicite des motivations de leurs décisions quant au raisonnement mené. Ils mettent en avant
différentes raisons : le laconisme général des motivations, la peur du juge de se lier les mains pour
l'avenir en souscrivant trop explicitement à une directive déterminée, la difficulté d'aboutir à un
véritable accord au terme du délibéré, le souhait de taire les raisons trop étroitement liées aux
particularités du litige qui ont véritablement guidé le magistrat, ou encore un manque d'intérêt pour
les enjeux théoriques. Le second de ces phénomènes - la distorsion entre les mots et les pratiques -
renvoie à l'idée selon laquelle la jurisprudence ne dit pas toujours ce qu'elle fait, et ne fait pas toujours
ce qu'elle dit. Derrière cela l'idée qu'il arrive que le juge prenne une position ferme dans une controverse
relative à l'interprétation d'un texte mais que l'on n'en retrouve pas de trace dans la motivation, ou à
l'inverse qu'une motivation explicite ne traduise pas les principes effectivement suivis par le juge.
F. Ost, M. Van de Kerchove, Entre la lettre et l'esprit. Les directives d'interprétation en droit, Bruxelles,
E. Bruylant, 1989.

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