Les Mélanges - Mélanges en l'honneur de Pierre-Yves Verkindt - 95

MICHEL BORGETTO
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Si l'on trouve quelques traces, déjà, de cette résurgence dans la pensée de philosophes
tels que Charles Secrétan ou Charles Renouvier, c'est cependant dans la synthèse
qu'Alfred Fouillée s'efforce d'opérer entre l'individualisme idéaliste de 17891793
et de 1848 et le positivisme scientiste et sociologique tendant alors à prévaloir
que se situe la source première du succès rencontré par l'idée de « dette sociale ».
Partant du postulat que quiconque vit en société et consent à y rester accepte
forcément, au moins de manière implicite, les règles régissant l'organisation de
cette dernière, Fouillée en déduit que, par ce consentement assimilable à une
sorte de quasi-contrat, « les générations présentes ont accepté du même coup les
bénéfices et les charges de l'association » ; or, poursuit-il, « parmi ces charges se
trouve la dette générale de justice réparative », dette qui « ne saurait être éludée
par l'État »37
. D'où provient cette dette ? Tout simplement du fonctionnement
. De là, la nécessité impérieuse, pour la société,
...
même de la société, lequel est à l'origine de la plupart des injustices qui affectent
les membres du corps social38
d'acquitter la dette, ce qui implique non seulement de venir en aide aux plus
démunis mais encore de mettre en place un système d'assurances garantissant la
population contre un certain nombre de risques sociaux39
Or, que dira Bourgeois ? Rien de fondamentalement différent : le simple fait
, dette que la justice impose
. Comment ? En instaurant - outre un impôt progressif sur le reve.
de
vivre en société implique pour chacun, affirme-t-il, l'existence d'une double
dette à l'égard de ses semblables et de ses ancêtres40
d'acquitter41
nu - une mutualisation des différents risques aussi bien individuels (maladie,
vieillesse, infirmités) que sociaux (chômage, accidents du travail...) susceptibles
d'affecter chacun au cours de sa vie42
37. A. Fouillée, La science sociale contemporaine, Hachette, 1880, p. 369-370.
38. V. A. Fouillée, La science..., op. cit., p. 358 : « la société où nous vivons n'est jamais
parfaite et ne peut être parfaite (...). Il y a toujours une certaine somme d'injustice générale qui
est imputable non point à tel homme en particulier mais à la société tout entière, et qui est
souvent un legs du passé. De là, la nécessité de la justice réparative », étant entendu que « la
fonction réparative de l'État ne sauvegarde pas seulement les droits des générations présentes ou
futures : elle est encore l'accomplissement d'une obligation léguée par les générations passées »...
39. V. A. Fouillée, La propriété sociale et la démocratie, 1884, Alcan, éd. 1906,
p. 145-150.
40. L. Bourgeois, Solidarité, A. Colin, 1896, p. 136-138 : « les hommes sont en société. C'est
là un fait d'ordre naturel, antérieur à leur consentement, supérieur à leur volonté (...). De là, une
double conséquence. Un échange de services s'établit nécessairement entre chacun des hommes et
tous les autres (...). Il y a donc pour chaque homme vivant dette envers tous les hommes vivants,
à raison et dans la mesure des services à lui rendus par l'effort de tous (...). Il y a en outre dette
envers les générations suivantes à raison des services rendus par les générations passées ».
41. L. Bourgeois, « L'idée de solidarité et ses conséquences sociales », in Essai d'une
philosophie de la solidarité, Alcan, 1902, p. 16 et s : « si l'homme fort et libre (...) prétend
recueillir les bénéfices qu'il tire de la solidarité sociale sans en supporter les charges et les
risques, c'est-à-dire sans s'acquitter de la dette que par là même il a contractée : alors (...), la
justice est violée (...). Puisqu'il y a une dette sociale, la justice ne sera possible (...) que quand
cette dette aura été acquittée ».
42. Sur ce point, v. not. L. Bourgeois, L'idée de solidarité et ses conséquences sociales, op. cit.,
p. 48 et s.
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