Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°6-2022 : À travers champs - 245

Variétes
et le conteur est très poreuse. Des relations entre ces deux canaux narratifs se tissent. Maupassant
a souvent puisé aux sources de la vie, celle qui s'est déroulée sous ses yeux, devant les tribunaux
de la capitale, pour stimuler son imagination et nourrir son impressionnant corpus dont il est bien
connu que les limites sont aujourd'hui difficiles à déterminer. Des nouvelles sont directement
consacrées à des questions de justice et permettent à l'écrivain de développer un propos sur ce
sujet qu'il conviendrait d'ailleurs d'étudier à d'autres occasions15
. Ses nouvelles sont nombreuses :
il en résulte fort logiquement que les sujets, dans cette matière, sont variés. Ainsi, l'on peut probablement
voir, dans cette curieuse nouvelle parue le 21 juin 1882 dans Gil Blas que fut Le Voleur16
,
une critique en règle du caractère expéditif, et particulièrement sommaire, de la justice militaire.
« Maintenant nous allons juger ce misérable. J'étais tellement gris que cette proposition me parut
toute naturelle », y lit-on. Le condamné à mort17
, où l'ironie mordante de Maupassant éclate, suscite
une réelle réflexion sur le système judiciaire. Bien sûr, à cet égard, la nouvelle Tribunaux rustiques
doit aussi être mentionnée sans doute parce qu'elle constitue parmi l'œuvre de l'écrivain, l'un de
ses opus les plus directement consacrés au monde de la justice. Une audience y est décrite par le
menu, avec une remarquable bonhomie. Les exemples pourraient être multipliés. En définitive,
Maupassant ne s'est pas, bien au contraire, désintéressé du droit. Dans de nombreuses nouvelles,
l'écrivain s'est attaché à décrire cette fascinante comédie de la justice. Lui aussi a développé une
vision du droit et de la justice.
4. - Il ne faudrait cependant pas céder à une opposition facile entre nouvelles et romans. Dans
les premières, Maupassant n'hésiterait pas à se servir, quand il le souhaite, du droit comme soubassement
de son récit, tandis que les seconds seraient étrangers à une telle méthode. Cette présentation
est erronée. Même dans ses romans, il s'intéresse au droit. Et de ce point de vue, l'étude
est probablement plus aisée que pour les nouvelles car le corpus est plus réduit. Maupassant n'a
publié que six romans : Une vie (1883), Bel-Ami (1885), Mont-Oriol (1887), Pierre et Jean (1888), Fort
comme la mort (1889) et Notre cœur (1890)18
et n'est pas un objet romanesque19
. Assurément, le droit n'y occupe pas la position principale
. Il semble que la matière juridique y est abordée, en passant,
comme un pas de côté nécessaire, effectué avec cette remarquable légèreté de l'écrivain, un pas
de côté qui s'inscrit logiquement dans la construction du récit. Dans les romans de Maupassant,
et notamment au moins pour quatre d'entre eux20
, le droit n'est pas l'intrigue, mais l'un de ses
rouages, l'un de ses prolongements indispensables. C'est d'ailleurs ce qui constitue toute la saveur,
mais aussi la complexité, de l'analyse juridique de l'œuvre de Maupassant, de telle sorte que
celle-ci représente, pour le juriste, un défi.
5. - Sur le plan stylistique, Guy de Maupassant n'hésite pas à utiliser le registre juridique. Ce
procédé astucieux permet de belles comparaisons. De ce point de vue, Mont-Oriol offre une scène
15. V. par ex. S. Travers de Faultrier, Afin que du réel advienne, Mare & Martin, coll. « Droit & Littérature », 2021, p. 170 et s.
16. « Le voleur » : Gil Blas, 21 juin 1882 : la nouvelle est publiée sous le pseudonyme de Maufrigneuse. La référence à Balzac est
évidente.
17. « Le condamné à mort » : Gil Blas, 10 avr. 1883. Là aussi, apparaît le pseudonyme de Maufrigneuse.
18. La plupart des romans de Maupassant ont été publiés en feuilleton. Lorsque ceux-ci ont paru entre les mois de décembre et
janvier, la date du dernier périodique a été retenue. Seul Fort comme la mort a paru pour la première fois en volume, chez Ollendorf,
en 1889.
19. La trame de Pierre et Jean prend toutefois pour appui un héritage.
20. Il s'agit en effet des quatre romans suivants : Une vie, Bel-Ami, Mont-Oriol et Pierre et Jean.
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