Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°6-2022 : À travers champs - 368

Un texte
ses intérêts car en réalité c'est souvent pour défendre sa propre cause, consciemment ou non, que
l'on critique une idéologie5
toujours néfaste, et jamais de soi6
. En somme, le danger vient toujours de l'idéologie de l'autre qui est
.
Il reste que même si le caractère idéologique de certains mouvements est discutable, les idéologies
qui généralisent et simplifient le réel pour imposer une certaine vision du monde sont évidemment
critiquables et doivent être combattues. Alain Finkielkraut souligne alors que le droit
et la littérature apparaissent comme des moyens efficaces pour lutter contre l'aveuglement que
provoquent les idéologies.
B) Le remède de la nuance littéraire et juridique
« Il y a deux antidotes à la disparition du particulier dans le général : la littérature et le
droit », écrit Alain Finkielkraut. En effet, ces deux matières ont une manière de raisonner au
cas par cas, en distinguant et nuançant les situations, qui permet de combattre les idéologies
généralisatrices.
Dans son ouvrage, Alain Finkielkraut reprend encore Philip Roth dans J'ai épousé un communiste
pour faire valoir que l'art a vocation à sauvegarder le particulier : « maintenir le particulier
en vie dans un monde qui simplifie et généralise, c'est la bataille dans laquelle s'engager »7
.
L'art est au service de l'art et d'aucune autre cause. Son but n'est pas de défendre la cause ouvrière,
celle des femmes ou encore des minorités, car toutes ces causes sont généralisatrices et
l'art, dont la littérature, ne s'attache qu'aux cas particuliers. L'autonomie de la littérature permet
donc de lutter contre les idéologies car contrairement à elles, la littérature n'aurait aucune
autre finalité que de créer des œuvres racontant des histoires particulières, en se gardant d'en
faire des généralités.
C'est ainsi qu'Alain Finkielkraut déplore l'heure de « l'après littérature » qui sonnerait la fin
d'une vision nuancée du monde. En effet, selon lui la littérature serait aujourd'hui détournée au
profit de la défense d'un nouvel ordre moral ayant pour but de lutter contre la domination et les
discriminations. Comme le souligne l'écrivain Édouard Louis, « si on n'écrit pas contre le racisme,
ça ne sert à rien d'écrire. » Le lecteur aborderait les livres en pensant en savoir plus qu'eux et
s'emploierait à les déconstruire s'ils ne vont pas dans le sens de sa cause. Pour lutter contre l'idéologie,
la littérature ne devrait donc pas être engagée comme le défend notamment Jean-Paul
Sartre dans Qu'est-ce que la littérature ? Pour lui, écrire c'est révéler quelque chose et donc impulser
une évolution. Il estime que l'écrivain doit s'engager et intervenir dans les débats politiques et
sociaux de son époque8
. Cette conception de la littérature engagée s'oppose alors à l'autonomie
de la littérature défendue par Alain Finkielkraut, la première étant au service d'une cause sociale
5. G. Erner, Les idéologies néfastes, L'humeur du matin, France Culture, 2019.
6. Ibid.
7. P. Roth, J'ai épousé un communiste, Gallimard, 2001.
8. J.E. Bruneau, La littérature engagée, Québec français, 2003.
368 Droit & Littérature - Numéro 6

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