Revue Droit & Littérature - Revue Droit & Littérature N°6-2022 : À travers champs - 421

RECENSIONS
Nicolas Bareït,
Agatha Christie.
Le droit
apprivoisé
Paris, Classiques Garnier,
coll. « Esprit des lois,
Esprit des lettres », 2020
Dans un essai stimulant paru dans la collection
« Esprit des lois, esprits des lettres » chez Classiques
Garnier, Nicolas Bareït propose une lecture juridique
des romans d'Agatha Christie, dont il montre que
les intrigues, la composition, les choix poétiques
sont informés par le droit. Il ne s'agit pas seulement
de pointer les références à la common law qui parsèment
l'œuvre et qui l'ancrent dans une forme
de réalisme juridique typique du genre policier ;
mais de montrer aussi comment le droit se trouve
reconfiguré au sein de la fiction, témoignant des
intérêts et même des obsessions d'Agatha Christie
pour certaines questions juridiques. Le droit fournit
au roman ses motifs narratifs et ses ressorts dramatiques
et devient chez elle le substrat premier de
l'imaginaire littéraire.
L'ouvrage s'organise autour de trois grandes parties
qui sont les trois motifs à la fois littéraires et juridiques
que Nicolas Bareït repère au sein de l'œuvre
fictionnelle d'Agatha Christie : « le procès », moment
d'acmé de la procédure et du récit, devenu dans
maintes fictions romanesques et théâtrales un véritable
topos littéraire ; « le couple », c'est-à-dire tout
ce qui relève du droit matrimonial, de la question
du divorce et des droits successoraux, et qui va à la
fois éclairer les relations entre les personnages et
fournir le motif de leurs actions ; et enfin « la mort »,
donnée et subie, motif qui permet d'éclairer les ressorts
dramatiques de l'intrigue, et qui ouvre aussi à
des considérations sur la peine de mort. Ajoutons
que la structure d'ensemble de l'ouvrage s'enrichit
de petits intermèdes concis mais très éclairants,
l'un portant sur les Dix petits nègres pour mettre au
jour sa dimension véritablement eschatologique
(« Dix petits nègres ou l'autre Décalogue »), l'autre
sur les œuvres qu'Agatha Christie fit paraître sous
le nom de Mary Westmacott, qui ne relèvent pas du
genre policier mais permettent d'éclairer certaines
constantes (« Le contrepoint Westmacott »), et une
postface (« rideau ») qui constitue une ouverture
passionnante vers d'autres œuvres de la littérature,
en premier lieu Kafka - on y reviendra. La bibliographie
est très fournie et s'ouvre sur un malicieux
« Corpus Christie » qui recense de manière exhaustive
les écrits de l'auteure. Cependant, au regard
du soin apporté au relevé de ses œuvres, on peut
légitimement regretter que les noms des traducteurs
ne soient jamais mentionnés, pas plus qu'ils
ne le sont en notes de bas de page dans le corps de
l'essai, alors même que Nicolas Bareït se montre parfois
très attentif à la traduction, dont certains choix
sont commentés - ainsi de passages relevant d'une
forme de surtraduction dans le passage au français,
le traducteur prêtant à Agatha Christie un vocabulaire
juridique qu'elle ne maîtrisait sans doute pas,
si on en croit le texte original en anglais où les questions
de procédure sont le plus souvent décrites à
grands traits.
Car on apprend qu'Agatha Christie semble avoir eu
une faible connaissance du droit, contrairement à
certains de ses contemporains comme l'écrivain John
Dickson Carr. C'est une incongruité, mais qui n'empêche
nullement que le droit soit partout présent
dans son œuvre, participant de cet « effet de réel »
dont parlait Barthes. Nicolas Bareït le montre en faisant
varier ses angles d'approche, s'appuyant tantôt
sur le vaste corpus romanesque de l'auteure afin d'y
déceler des prévalences, tantôt sur ses écrits autobiographiques
pour préciser sa conception personnelle
de la justice, tantôt sur les œuvres d'auteurs qui furent
ses contemporains, afin de mieux cerner l'originalité
de son écriture et de ses conceptions juridiques.
On retiendra la centralité que la narration confère
aux questions successorales, ainsi que la dimension
éminemment théâtrale qui se manifeste dans certains
dispositifs diégétiques : scènes de procès et de
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