Hors collection - Réforme du statut de l'entrepreneur individuel - 108

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RÉFORME DU STATUT DE L'ENTREPRENEUR INDIVIDUEL
Une problématique différente se révèle, en revanche, s'agissant du gage des créanciers. Deux textes
sont ici en confrontation, soit les articles 1413 et 1415 du Code civil. Tandis que le premier énonce
que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu peut être poursuivi sur les biens communs, le
second dispose que « [c]hacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un
cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de
l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres ». En d'autres termes, si l'on rattache la
renonciation à la première hypothèse, le créancier professionnel pourra se saisir, par-delà son gage
« professionnel », des biens communs (extraprofessionnels) du couple ainsi que des biens propres
(extraprofessionnels) de l'entrepreneur. À l'inverse, l'application de l'article 1415 réduit le gage des
créanciers aux biens propres et revenus (extraprofessionnels) de l'entrepreneur, sauf si le consentement
du conjoint a été sollicité.
183. Qualification de la renonciation : exclusion d'un cautionnement. - De prime abord, il pourrait
être tentant de refuser l'application de l'article 1415 précité à l'hypothèse de la renonciation. Deux
arguments pourraient être avancés en ce sens. D'une part, s'agissant de la qualification en tant que
telle, il faut constater que le législateur a envisagé le cautionnement, et ce afin de l'écarter160
.Si la
distinction des patrimoines n'autorise pas l'entrepreneur à se porter caution en garantie d'une dette
dont il est débiteur principal, la renonciation ne saurait recevoir une telle qualification. Un député,
rapporteur, l'exprimait avec force : « " renonciation " ne veut pas dire " caution " , d'autant plus que la renonciation
ne sera pas totale, mais spécifique : elle portera sur une partie du patrimoine personnel, selon l'objet du
crédit »161
.D'autre part, et plus largement, il est intéressant de remarquer la souplesse souhaitée par le
législateur quant à la composition et à la gestion du patrimoine professionnel. Comme le souligne un
auteur, « un bien commun, parce qu'utile à l'entreprise, pourrait se trouver dans le patrimoine professionnel
de [l'entrepreneur], sans accord ni même information du conjoint »162
sous l'empire de l'EIRL, puisque l'accord exprès du conjoint était ici indispensable163
l'on observe le droit des sociétés, il est intéressant de remarquer que l'article 1832-2 alinéa 1er
. Une telle possibilité n'existait pas
. En outre, si
du
Code civil dispose qu'« [u]n époux ne peut, sous la sanction prévue à l'article 1427, employer des biens
communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables sans que son
conjoint en ait été averti et sans qu'il en soit justifié dans l'acte ». À la différence de l'EIRL ou de
l'acquisition de parts sociales, le conjoint de l'entrepreneur individuel semble dès lors largement
moins bien protégé, au profit de la souplesse du statut. Aller jusqu'au bout d'une telle logique
impliquerait également que la renonciation puisse se faire sans l'accord du conjoint.
184. Qualification de la renonciation : application de l'article 1415 du Code civil ? - Une analyse de
la jurisprudence relativement au champ d'application de l'article 1415 invite cependant, peut-être, à
retenir une analyse inverse. En effet, il est un truisme que d'affirmer que la Cour de cassation
dépasse, de longue date, la lettre du texte précité. Elle « a donné à la disposition de l'article 1415 une
160. C. com., art. L. 526-22 al. 3.
161. M.-Ch. Verdier-Jouclas, préc., p. 107.
162. B. Dondero, « Place à l'entrepreneur individuel à deux patrimoines (EI2P) ! », Rev. sociétés 2022, p. 1999, nº 59. V.,
dans le même sens, Q. Guiguet-Schielé, préc., p. 45 : « Le passage d'un bien commun du patrimoine personnel au
patrimoine professionnel de l'entrepreneur ne nécessitera donc pas le consentement de son conjoint, alors même que
ce rattachement aura pour double effet d'exposer le bien aux créanciers professionnels et d'obérer le crédit du couple
vis-à-vis des créanciers non professionnels ».
163. C. com., art. 526-11 : « Lorsque tout ou partie des biens affectés sont des biens communs ou indivis, l'entrepreneur
individuel justifie de l'accord exprès de son conjoint ou de ses coïndivisaires et de leur information préalable sur les
droits des créanciers mentionnés au 1ºde l'article L. 526-12 sur le patrimoine affecté ».
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