Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger n°1-2023 - 153

LES QUALIFICATIONS CIVILES ATTACHÉES AUX MONUMENTS HISTORIQUES
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et sa qualification d'immeuble par nature au sens de l'article 518 du Code civil.
Contrairement à la jurisprudence judiciaire, le Conseil d'État élude le critère de
l'incorporation, à savoir la dégradation en cas de dépose de l'élément intégré.
Or, comme le rappelle Adeline Thobie : « la considération d'un tel critère aurait
probablement conduit à exclure la qualification d'immeuble par nature. En effet,
le retrait du Baiser ne causerait certainement aucune dégradation car celui-ci est
fixé à la stèle à l'aide d'un simple tenon » (122). En somme, ce n'est pas parce
qu'un bien meuble n'a pas été conçu aux fins d'incorporation à un immeuble et
qu'il pourrait en être dissocié sans porter atteinte à son intégrité qu'il ne peut
recevoir la qualification d'immeuble par nature. Sur ce fondement, le Conseil
décide qu'un « monument funéraire érigé sur un caveau servant de fondation,
fût-il construit par un autre que le propriétaire du sol, doit être regardé globalement,
avec tous les éléments qui lui ont été incorporés et qui composent l'édifice,
comme un bâtiment, au sens et pour l'application de l'article 518 du Code
civil » (123). Ainsi que le précise avec justesse le Professeur Benjamin Defoort,
il ne s'agit pas de savoir si l'œuvre d'art a été conçue pour être incorporée dans
l'immeuble, mais l'inverse : « Dit autrement, la cour aurait dû rechercher si le
bien immeuble, dans son ensemble, avait été conçu pour accueillir et intégrer le
bien meuble » (124). Pour cette raison, le Conseil d'État examine la volonté du
propriétaire de la sépulture, non au sens des articles 524 et 525 du Code civil,
mais pour inverser la focale. « En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que
la volonté du père de la défunte, titulaire de la concession perpétuelle qui lui a
été consentie au cimetière du Montparnasse par la Ville de Paris après le décès
de Tania AC. en décembre 1910, a été d'ériger sur sa tombe un monument
funéraire qui accueille Le Baiser de Constantin Brancusi, acquis auprès de l'artiste
sur la recommandation de l'amant de sa fille disparue, en hommage à la
jeune femme... Dès lors, la sculpture Le Baiser de Constantin Brancusi qui
surmonte la tombe de Tania AC. est un élément de cet édifice qui a perdu son
individualité lorsqu'il a été incorporé au monument funéraire » (125). Cette
reconnaissance d'un immeuble par nature au sens de l'article 518 du Code civil,
distant du critère finaliste et de la théorie de l'incorporation, interpelle également
sur le terrain de l'œuvre d'art. Le Professeur Benjamin Defoort a bien
relevé qu'« En considérant que Le Baiser de Brancusi a " perdu son individualité "
pour s'incorporer à l'immeuble par nature que constitue le monument funéraire
érigé en la mémoire de Tania Rachewskaïa, le Conseil d'État s'émancipe,
sans le dire, du critère tiré de la vocation à l'immobilité d'un bien meuble incorporé
» (126). Par ailleurs, pour valider cette inscription au regard du droit de
(122) Thobie A., « Quand le droit civil des biens est mis au service de l'inscription
du Baiser de Brancusi au titre des monuments historiques », RLDC oct. 2021, n° 196.
(123) CE, 2 juill. 2021, préc., point 13.
(124) Defoort B., « Un Baiser renversant », AJDA 2021, p. 2401.
(125) CE, 2 juill. 2021, préc., point 14.
(126) Defoort B., « Un Baiser renversant », art. préc., p. 2401.
REVUE DU DROIT PUBLIC - N° 1-2023
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