Manuel - Introduction au droit européen - 3e - 198

INTRODUCTION AU DROIT EUROPÉEN
les éloigner, doit-on admettre le recours au juge européen. On pourrait en
effet considérer que tant que la mesure d'éloignement n'est pas exécutée, la
personne a pu rester dans son cadre familial et sa vie privée n'a donc pas été
violée. Le résultat pratique d'un tel raisonnement serait évidemment de
réserver le contrôle de la Cour européenne au cas où la personne a déjà été
éloignée, ce qui réduirait considérablement l'intérêt pratique de l'action. La
considération du caractère imminent du risque d'éloignement suffit alors à
justifier de la qualité de victime aux fins de la recevabilité de l'action devant
la Cour européenne des droits de l'homme. Ici encore, les critiques adressées
à la Cour sont fondées sur une incompréhension. En réalité la décision administrative
d'éloignement modifie déjà la situation juridique de son destinataire
et, le cas échéant, porte déjà atteinte au respect de son droit à une vie
familiale normale. Être, oui ou non, destinataire d'un ordre de quitter le territoire
ou d'une décision d'expulsion, n'est pas être dans la même situation
qu'avant leur adoption. C'est cette « précarisation » de la situation du destinataire
qui constitue la violation - son exécution aggraverait « simplement » le
préjudice. Et d'ailleurs, à l'extrême, on en voudra pour preuve que si la décision
d'éloignement est adressée à une personne frappée par ailleurs d'assignation
à résidence, sa situation territoriale n'est pas modifiée (puisqu'elle
est assignée à résidence) et l'action est donc irrecevable (CEDH, 14 nov.
2000, nº 42216/98, Nasser Benamar et al. c/France).
Cette jurisprudence a été appliquée à l'hypothèse du risque de violation
par un autre État. C'est ce qu'on appelle parfois la « protection par ricochet »,
en vertu de laquelle l'État partie à la Convention européenne répond de la
décision d'éloignement vers un État où la personne est exposée à un traitement
contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est ici
que les critiques ont été les plus fortes, puisqu'on reprochait à la Cour de
sanctionner des conduites à la fois hypothétiques et imputables à des tiers,
parfois même non liés par la convention européenne des droits de l'homme
(États-Unis, États d'Amérique latine ou d'Afrique, etc.). C'est également ci
que l'incompréhension est patente : la violation n'est précisément pas dans
le comportement des tiers, elle a déjà eu lieu et elle est le fait de l'État qui a
fragilisé la situation territoriale de la personne en l'exposant à ce traitement.
La violation est dans le fait d'exposer la personne à un tel risque. Et du reste
l'image de l'épée de Damoclès qui avait été choisie pour expliquer les premières
décisions de la Cour est parlante. Si Denys de Syracuse suspend à un crin
de cheval une lourde épée sur la tête du courtisan Damoclès, c'est déjà pour
le punir. Parmi les critiques de la Cour qui viendraient s'attabler au festin du
tyran, s'en trouverait-il pour réclamer la place de Damoclès ?
2. Conditions communes de recevabilité : épuisement
des recours internes, et délai de quatre mois
172. Aux termes du paragraphe 1er
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de l'article 35 de la Convention, « [l]
a Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours
internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international
généralement reconnus, et dans un délai de quatre mois à partir de la

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