Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté - Tome 31 - Les droits des obligataires confrontés à la procédure collective de l’émetteur - 122

122 LES DROITS DES OBLIGATAIRES CONFRONTÉS À LA PROCÉDURE COLLECTIVE DE L'ÉMETTEUR
102. Un principe supplétif de volontés - Cette solution ne nous semble pas
justifiée. Le principe de restitution du capital prêté, « expression de la temporalité
du contrat de prêt »93, apparaît bien à la lecture des articles 1892, 1895 et 1902 du
Code civil, comme une obligation essentielle du prêt de droit civil. L'emprunteur est
en effet tenu de rendre la même « quantité de choses [...] de même espèce et
qualité »94,l'obligation résultant du prêt n'étant « toujours que de la somme énoncée
au contrat »95. Ce principe de nominalisme monétaire doit cependant être relativisé
dès lors qu'il n'est, en réalité, que supplétif de volonté. Autrement dit, il n'est pas
d'ordre public96. Du fait du risque lié à l'instabilité économique, ce principe se voit
ainsi parfois substituer une règle d'indexation, autrement appelée « clause d'échelle
mobile », permettant aux parties de se prémunir contre une augmentation ou une
baisse brutale d'une donnée économique venant modifier l'environnement du contrat.
Le caractère non impératif de l'article 1895 du Code civil a ainsi été reconnu dans
l'arrêt Guyot97 où la Cour de cassation s'était prononcée sur la validité d'une clause
d'indexation sur le cours du blé, entraînant une variation à la hausse du montant en
principal du prêt, de sorte que l'emprunteur, agriculteur, se retrouvait à rembourser au
prêteur, négociant en grains, un montant supérieur aux fonds initialement prêtés. Cette
solution a également été retenue dans le cas d'une variation à la baisse du capital
emprunté. La Cour de cassation98 a ainsi pu reconnaître la validité d'une clause d'indexation
des annuités d'amortissement sur le coût de la construction établi par l'INSEE,
entraînant une variation du capital prêté à la baisse, bénéficiant à l'emprunteur.
Le principe est donc clair : la somme prêtée peut aussi bien être supérieure qu'inférieure
au montant remboursé dès lors que les modalités du prêt établissent l'intention
des parties de soumettre l'opération, dès l'origine, à l'aléa d'un gain comme d'une
perte99.Il s'agira alors d'un contrat aléatoire100.
En l'espèce, on rappellera que la documentation prévoyait la possibilité d'une
valeur de remboursement inférieure à 60% du nominal, de sorte que l'aléa qu'emportait
l'indexation du nominal était nécessairement entré dans le champ contractuel.
L'absence de restitution de l'intégralité du nominal des obligations ne pouvait, dès
lors, entraîner de disqualification de l'opération d'émission obligataire ; qui restait, à
titre subsidiaire, soumise au régime du prêt. Telle ne fut cependant pas la solution
retenue par la cour d'appel de Paris, qui, tout en réaffirmant le rattachement de l'emprunt
obligataire à l'article 1892 du Code civil l'en éloigna au motif que le droit au
remboursement de l'intégralité du nominal serait une « caractéristique essentielle de
l'obligation ».
93. CATTALANO-CLOAREC G., Le contrat de prêt, thèse, LGDJ, 2015, spéc. p. 257.
94. C. civ., art. 1892.
95. C. civ., art. 1895.
96. GRUA F., CAYROL N., J.-Cl. Civil. Code, art. 1892 à 1904, Fasc. unique, Prêt de consommation ou
prêt simple, mai 2017, spéc. nº 148.
97. Cass. 1re
note RIPERT G.
98. Cass. 1re
civ., 27juin 1957, nº 57-01212, Guyot, Bull. civ. I, nº 302, p. 241 : JCP 1957, p. 649,
civ., 21juin 1992, nº 90-18120, Bull. civ. I, nº 22, p. 14.
99. ENDREO G., Taux négatifs, rendements négatifs et émissions obligataires en droit français, BJB
2015, p. 461, spéc. nº 16.
100. ENDREO G., Taux négatifs, rendements négatifs et émissions obligataires en droit français, BJB
2015, p. 461, spéc. nº 21 ; v. également en ce sens, à propos d'un taux d'intérêt conventionnel révisable en
fonction d'un indice, ROUSSILLE M., note ss. TI Montpellier, 9juin 2016, nº 11-16-00024, Gaz. Pal. 27 sept.
2016, p. 60.

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