Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté - Tome 31 - Les droits des obligataires confrontés à la procédure collective de l’émetteur - 128

128 LES DROITS DES OBLIGATAIRES CONFRONTÉS À LA PROCÉDURE COLLECTIVE DE L'ÉMETTEUR
A. PRÊT IMMOBILIER ET TAUX NÉGATIFS
109. Exposé du problème - Confrontés aux taux d'intérêt négatifs, les grands
groupes bancaires français ont adopté une réaction commune. Considérant que la stipulation
d'une marge était de l'essence même du contrat de crédit, ils ont invoqué
l'existence d'un plancher («floor ») implicite égal à 0 % appliqué à l'indice de référence,
permettant de préserver, dans tous les cas, leur rémunération sur l'opération de
crédit. Il a ainsi été soutenu que la marge fixe avait « vocation structurellement à
s'ajouter au taux nominal et que la voir entamée ou absorbée par ce dernier devenu
négatif était contre sa nature même »131. Accepter que des intérêts négatifs s'imputent
sur la marge fixe revenait ainsi à « lui faire subir les effets de l'évolution de l'indice et
à lui ôter son caractère de fixité. Bref à la dénaturer »132.L'argument, de simple
opportunité133,n'était pas juridiquement fondé. En droit, les banques avaient-elles le
droit de restreindre la variation au seul indice, sans impact sur la marge, de façon à
maintenir un taux d'intérêt artificiellement positif? Le prêteur peut-il être tenu, même
temporairement, au paiement d'une rémunération à l'emprunteur ?
110. Réception variée des juridictions du fond - Un premier élément de
réponse a pu être apporté à l'occasion d'un contentieux opposant le Crédit Mutuel à
un couple d'emprunteurs qui avait financé l'acquisition d'une maison d'habitation par
un prêt portant intérêts à taux variable calculé sur la variation de l'indice Libor CHF
3 mois, auquel s'ajoutait une marge de 0,80 %. Le 15janvier 2015, la Banque nationale
suisse mettait fin au taux plancher de 1,20 CHF pour 1 euro134, décision se traduisant
par une chute du Libor 3 mois sous 0%. L'application mécanique de la formule
de calcul prévue au contrat aurait dû amputer la marge de la banque qui,
pourtant, limita l'évolution de la baisse de l'indice à 0 %, sans incidence sur sa
marge de 0,80 %. Les emprunteurs, réclamant l'application stricte de la règle de calcul,
obtinrent en référé135 la condamnation de la banque au respect de la règle de
calcul et ce « sans limite », dès lors qu'il n'avait été prévu aucun taux d'intérêt plancher
au contrat. En préservant sa marge de 0,80 %, la banque ne respectait plus les
prévisions contractuelles ce qui constituait « un trouble manifestement illicite qu'il
appartenait au juge des référés de faire cesser ». Cette première décision, qui se pose
en faveur de la protection des emprunteurs136, doit néanmoins être relativisée. Les
faits de l'espèce n'entraînaient aucun risque de dénaturation du contrat de prêt, qui
conservait son caractère onéreux. L'application de la formule aboutissait en effet
nécessairement au versement d'un intérêt de la part de l'emprunteur, certes amoindri
131. CREDOT F.-J., note ss. TGI Strasbourg, ord. réf., 5janv. 2016, nº 15/00764, RDBF mars 2016,
comm. 54.
132. Ibid.
133. On rappellera ici que les banques sont uniquement rémunérées, sur ce type d'opération, par la
marge et non par le taux variable qui correspond, en réalité, aux conditions dans lesquelles elles se refinancent
sur le marché interbancaire. Dans un contexte de taux négatifs, les banques bénéficient d'un refinancement
à un coût encore inférieur, soit sur le marché, soit auprès de la BCE. Tant que la négativité de ces
taux n'ampute pas la marge, l'impact sur la rémunération des banques reste neutre.
134. Décision prise en vue de « décourager les investisseurs de se porter sur la devise helvétique en
tant que monnaie refuge et de prévenir une flambée du franc suisse jugée insupportable pour l'économie de
ce pays tournée vers l'export », v. en ce sens CREDOT F.-J., note ss. TGI Strasbourg, ord. réf., 5janv. 2016,
nº 15/00764, RDBF mars 2016, comm. 54.
135. TGI Strasbourg, ord. réf., 5janv. 2016, nº 15/00764 : RDBF 2016, comm. 54, note CREDOT
F.-J. ; LEDB mars 2016, p. 6, note LASSERRE CAPDEVILLE J. ; Gaz. Pal. 7juin 2016, p. 64, note ROUSSILLE M.
136. BREHIER B., L'application des taux d'intérêts négatifs, RDBF 2017, dossier 23.

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