Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 167 - L'abus de droit fondamental - 266

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L'ABUS DE DROIT FONDAMENTAL
caractérisée par un lien de subordination légale. Elle est régie par un régime juridique
propre, qui se distingue nettement du régime général des relations entre individus »93.
Dès lors, certains propos virulents à destination du supérieur hiérarchique peuvent
plus facilement dégénérer en abus de la liberté d'expression94. De manière générale,
au sein de l'entreprise comme à l'extérieure de celle-ci, le salarié jouit de sa liberté
d'expression et seul l'abus dans son exercice, notamment à travers des propos injurieux,
diffamatoires ou excessifs, permet à l'employeur d'user de son pouvoir disciplinaire,
jusqu'au licenciement95. A contrario, le caractère illicite du motif de licenciement
prononcé en raison de l'exercice par le salarié, de manière non abusive, de sa
liberté d'expression, entraîne à lui seul la nullité du licenciement96. Le droit à la vie
privée reçoit également une application particulière sur le lieu de travail97.L'employeur
peut notamment reprocher au salarié un manquement à ses obligations
contractuelles en raison d'un usage abusif de l'outil informatique à des fins
privées98 ou à des fins immorales susceptibles de nuire aux intérêts de l'entreprise99.
Le concept de l'abus de droit est utilisé aussi pour encadrer le droit de grève100,
notamment en matière de service public101. Généralement, l'abus est constitué
lorsque, du fait de la grève, se produit une véritable désorganisation de l'entreprise
et non de simples perturbations dans son fonctionnement102. Autrement dit, lorsque
sont outrepassées les conséquences normales de l'exercice du droit de grève. En particulier,
l'entrave à la liberté du travail du personnel non gréviste est susceptible de
faire dégénérer un mouvement de grève en abus103. Aussi, la liberté de circulation des
93. Cour EDH, 5 sept. 2017, Bărbulescu c/Roumanie, nº 61496/08, § 117.
94. Constituent des propos excessifs, dépassant le cadre de la liberté d'expression au sein de la relation
de travail, le salarié traitant ouvertement son supérieur hiérarchique d'incompétent (Cass. soc., 23juin
2010, nº 09-40.825) ou de « bordélique qui perd tous ses papiers », de « tronche de cake », qui « n'est pas
apte à être directeur » et qui « n'est rien d'autre qu'un gestionnaire comptable » (Cass. soc., 6 mars 2019,
nº 18-12.449), aussi celui qui écrit que le directeur mentait « effrontément », qu'il jouait « au caporal », et
que lui n'entendait pas « accourir ventre à terre pour répondre à l'injonction hiérarchique bête et méchante »
alors que le président de l'association se laissait « aspirer [...] par la galaxie " droits et libertés " qui érige en
vertu la pratique des coups tordus » (Cass. soc., 13 févr. 2019, nº 17-15.928). En revanche, ne commet
aucun abus le cadre dirigeant qui profère, dans un cercle restreint, des critiques, même vives, concernant
une nouvelle organisation (Cass. soc., 14 déc. 1999, nº 97-41.995).
95. Cass. soc., 28 avril 1994, nº 92-43.917 ; 14 avril 2016, nº 14-29.769. En la matière, la publicité
des propos est un critère important (Cass. soc., 15 déc. 2009, nº 07-44.264 ; Soc. 28 avril 2011,
nº 10-30.107).
96. Cass. soc., 29juin 2022, nº V 20-16.060.
97. Cour EDH, Libert c/France, préc, spéc. § 52. En l'espèce, la charte informatique de l'entreprise a
pu étroitement contraindre l'exercice du droit à la vie privée du salarié.
98. Cass. soc., 16 mai 2007, nº 05-46.455.
99. Cass. soc., 2juin 2004, nº 03-45.269.
100. Cass. soc., 7juin 2006, nº 04-43.855 ; Ass., 23juin 2006, nº 04-40.289.
101. En droit administratif, le célèbre arrêt CE, 7juill. 1950, Dehaene, D. 1950. 538, préc. réaffirmé
notamment dans l'arrêt CE, 13 nov. 1992, Union syndicale de l'aviation civile CGT,nos
83177 et 83702 :
« Considérant que si l'article 2 de la loi du 31 décembre 1984 et l'article 1er du décret du 17 décembre 1985
déterminent les services de la navigation aérienne qui doivent être assurés en toute circonstance, il appartenait,
en l'absence d'une telle réglementation pour les autres services relevant de l'autorité du directeur
général de l'aviation civile, au gouvernement responsable du bon fonctionnement des services publics, de
fixer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en ce qui concerne ces services, la nature et l'étendue
des limitations qui doivent être apportées au droit de grève en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire
aux nécessités de l'ordre public ».
102. Cass. soc., 18janv. 1995, Bull., V, nº 27 ; Soc., 17juill. 1996, nº 94.42.964 ; Soc., 11janv. 2000,
Bull., V, nº 16.
103. Cass. soc., 9 mars 2004, nº 02-30.294 ; Cass. soc., 10 févr. 2021, nº 19-14.021 : C'est à bon droit
et sans remettre en cause la légitimité d'une action revendicative des représentants du personnel et
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