Bibliothèque constitutionnelle et de science politique - Tome 166 - Les dispositions inexploitées de la Constitution de 1958 - 163

LA CONCURRENCE
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285. En premier lieu, il arrive que le constituant établisse une concurrence sans
qu'elle en soit véritablement une au fond. C'est le cas dans la situation où deux ou
plusieurs dispositions sont applicables au même objet sans qu'il en soit prévu aucune
discrimination formelle, mais qu'on s'aperçoit au fond que, pour telle raison, les
chances de concrétisation ne sont pas égales. Il est évident qu'en pratique, le Congrès
restera la voie principale pour faire approuver les projets de loi constitutionnelle ou
pour l'autorisation de la ratification d'un traité d'élargissement de l'Union européenne,
sauf, concernant ce dernier exemple, pour certains États candidats comme la
Turquie. La voie parlementaire est en effet plus pratique dans les deux cas.
286. En second lieu, certains éléments comme l'efficacité et l'opportunité
seraient également déterminants quant au choix de la voie à emprunter. On peut
s'interroger sur l'opportunité de recourir à l'article 88 de la Constitution qui permet
à la France de « conclure des accords avec des États qui désirent s'associer à elle pour
développer leur civilisation »82, alors que les dispositions du Titre VI « Des traités et
accords internationaux » prévoient un régime de droit commun de conclusion de traités
par la République. Dans le passé, la France a eu à conclure des conventions avec
ses anciennes colonies dans le but de les accompagner en matière de « civilisation ».
Pourtant, l'article 88 de la Constitution n'a jamais été mobilisé. On gagera qu'il ne le
sera pas à l'avenir. Le Titre VI n'excluant pas l'objet de l'article 88 de la Constitution,
il sera encore assurément suffisant demain. Un autre exemple concerne l'article 36 de
la Constitution : en cas de crise grave, il n'y aurait pas intérêt à décréter l'état de siège,
lorsque les pouvoirs exceptionnels de l'article 16 de la Constitution seraient suffisants
pour mettre fin à cette crise. Aux yeux du président de la République, le recours aux
pouvoirs exceptionnels serait sans doute plus approprié que l'état de siège.
287. Il ressort de ces deux motifs qu'en cas de concurrence, l'égalité des dispositions
concernées n'est que formelle. Théoriquement, toutes les dispositions peuvent
être utilisées. Pour autant, plusieurs paramètres sont pris en considération dans le
cadre de la mise en œuvre. Au regard des dispositions concernées, il est possible
que les modalités de mise œuvre soient déterminantes. Il ne fait pas de doute qu'il
est plus facile de soumettre une révision constitutionnelle au Congrès lorsque l'on a
une majorité favorable au Parlement que d'organiser un référendum pour son approbation.
C'est vrai aussi pour la préférence probable à l'article 16 plutôt qu'àl'article
36 en cas de péril national. En effet, la mission de garant de l'intégrité du territoire
et du bon fonctionnement des pouvoirs incombe au président de la République si l'on
en juge par l'article 5 de la Constitution83. Il est vrai que la mise en œuvre de l'état de
siège ne signifierait pas qu'il n'assure plus cette haute mission. L'état de siège impliquant
le transfert du pouvoir de l'autorité civile à l'autorité militaire, le président de la
République ne perdrait pas tout pouvoir dans la mesure où il est, au regard de l'article
15 de la Constitution, « le chef des armées »84.
288. Toutefois, cela ne suffit pas à remettre en cause l'idée que les pouvoirs
exceptionnels seraient plus pratiques que l'état de siège. D'abord, ce dernier régime
82. Article 88 de la Constitution de 1958.
83. Il convient de citer intégralement l'article 5 de la Constitution de 1958 qui établit clairement la
haute mission du Chef de l'État : « le président de la République veille au respect de la Constitution. Il
assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État.
Il est garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité territoire et du respect des traités ».
84. V. article 15, al. 1er
, de la Constitution de 1958.

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