Précis Domat - Droit des biens - 6e - 75

LA RÉUNION DES UTILITÉS DE LA CHOSE : LA PROPRIÉTÉ
approche, en termes de propriété d'abord et de responsabilité ensuite, dévoile. Si la
doctrine cède à la facilité en se bornant à relever l'existence d'un régime spécial de
responsabilité, c'est parce que les troubles de voisinage sont le seul cas connu en
droit français où d'une part le fait générateur de la responsabilité se confond ouvertement
avec le dommage et où d'autre part tout dommage n'est pas réparé, évinçant
ainsi le principe cardinal de réparation intégrale.
Les choses s'éclairent pourtant sitôt que l'on se place sur le terrain réel avant
que de s'aventurer sur les terres de la responsabilité. Le droit de propriété confère à
son titulaire le droit de jouir de sa chose sous une limite jurisprudentielle spécifique,
qui est de ne pas causer ce faisant de trouble anormal à son voisin. Il ne
s'agit pas de restreindre quantitativement le nombre des utilités de la chose offertes
au propriétaire165
(comme on peut le faire au moyen de lois ou de règlements :
supra no 69 s.), ni de sanctionner l'usage de la chose en raison du but antisocial
que poursuit le propriétaire (c'est alors d'abus de droit dont il s'agit : infra
no
76 s.), mais d'en limiter l'exercice en raison des conséquences dommageables
particulières que cet usage de la chose a pour les voisins. Autrement dit, la théorie
des troubles de voisinage s'ancre avant tout dans le droit de propriété, dont elle
vient restreindre l'exercice d'une manière originale, afin de le concilier avec d'autres
semblables. Il est aisé de souligner d'ailleurs que cette restriction est d'autant
plus justifiée qu'elle est fondamentalement au service de la propriété elle-même :
c'est pour la rendre effective que le juge la limite. Ce point acquis, il devient clair
qu'en causant à autrui un trouble de voisinage anormal, le propriétaire n'agit plus
dans les limites objectives de son droit. Outrepassant les prérogatives que l'article
544, tel qu'interprété par la jurisprudence, lui accorde, il commet une faute qui
justifie alors l'engagement de sa responsabilité. Le préjudice que subit le voisin du
fait du trouble anormal sera alors intégralement réparé. Le double visa des articles
544 et 1382 (actuel art. 1240) qu'employait la jurisprudence était particulièrement
pertinent et l'explicitation de la limitation du droit du propriétaire au travers
du principe selon lequel « nul ne peut causer à autrui de trouble anormal de voisinage
» ne justifiait nullement son abandon.
75 Évolution. - La théorie des troubles de voisinages est née du souci de concilier
les droits des propriétaires d'immeubles voisins. Son succès a conduit les plaideurs
à solliciter l'extension de son domaine, ce que la jurisprudence a admis avec largesse.
Quant au responsable, il est aujourd'hui acquis que la victime d'un trouble
anormal de voisinage peut actionner non seulement le propriétaire, mais encore un
simple titulaire de droit réel ou personnel sur le fonds166
, voire ceux qui ne l'ont
■ 165. La responsabilité ne pouvant être convoquée directement pour fonder la théorie des troubles du
voisinage, il faut en passer d'abord par la limitation du droit de propriété lui-même. Une partie de la doctrine
fait appel à l'idée d'obligations de voisinage, lesquelles viendraient encadrer de l'extérieur l'exercice
du droit de propriété et constitueraient une véritable charge grevant la propriété foncière. La jurisprudence
s'y réfère parfois (Cass. 3e
civ., 6 déc. 2005, nº 04-17715).
■ 166. Pour un locataire, Cass. soc., 9 juill. 1954, D. 1954 p. 683. - Cass. 1re
civ., 18 juill. 1961, aff. Mehl ;
Bull. civ. I nº 411 ; D. 1961, p. 722 ; JCP G 1961, II, 12301, note P. ESMEIN ; RTD civ. 1962, p. 120, obs.
A. TUNC. - Cass. 3e
civ., 8 févr. 1972, nº 70-13514 ; Bull. civ. III nº 89 ; JCP G 1972, II, 17176, note
civ., 17 avr.
Première partie : Les rapports de la personne aux choses
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R. D. Cette responsabilité du locataire n'efface nullement celle du propriétaire bailleur qui ne peut s'exonérer
en justifiant avoir mis son locataire en demeure de mettre un terme aux nuisances (Cass. 3e
1996, nº 94-15876 ; Bull. civ. III nº 108 ; JCP G 1996, I, 3972, nº 7, obs. H. PÉRINET-MARQUET ; RTD civ.
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