Manuel - Introduction générale au droit - 7e - 245

L'identification du texte en vigueur
Mais obsolescence et désuétude frappent plus vite que le législateur et ce
sont principalement les juges, premiers aux prises avec une disposition qu'un
juriste curieux aura su dénicher, qui tentent d'éviter l'application trop brutale
des textes oubliés. Ils peuvent solliciter officiellement leur abrogation, par le
biais de leurs Rapports annuels. Mais, dans l'attente, comment éviter, ou
aménager, les effets les plus nuisibles de l'application d'un texte oublié ou
inadapté ? Face à un texte à texture ouverte136
, ils peuvent, usant de toutes
les vertus de l'interprétation anesthésiante, parvenir à ne pas appliquer la loi
sans nier sa validité, en lui attribuant un sens nouveau et adapté ou en forçant
un cas d'abrogation implicite. Face à un texte plus rigide, ou auquel
l'interprétation la plus constructrice ne peut remédier, le Conseil d'État a tôt
inauguré l'illégalité des règlements pour changement des circonstances,de fait
ou de droit : le règlement, parfaitement valable au moment de son adoption,
a par la suite perdu sa validité en raison d'évolutions137
. Il est ainsi possible de
contester la répartition de la production de rhum entre les sucreries de la
Guadeloupe faite par un décret de 1933, toujours en vigueur plus de vingt
ansaprès alorsque le secteur d'activité a notablement évolué depuis138
.
Cette saine jurisprudence a depuis été consacrée par la loi nº 2007-1787 du
20 décembre 2007 relative à la simplification du droit139
.Elle a,enfin,été
reprise pour le contrôle de constitutionnalité de la loi a posteriori,qui prévoit
la possibilité d'apprécier la validité d'une loi en fonction des changements de
circonstances de fait, comme ce fut le cas pour la garde à vue140
.
268. Inconventionnalité de la loi : le no man's land normatif. - Le
contrôle de conformité d'une loi à une norme internationale fait désormais
partie de l'alphabet du juriste. Or, ce qui est l'objet de moins d'attention,
c'est le sort d'une norme déclarée inconventionnelle141
. A priori,la
solution est simple : le juge ne peut l'appliquer et le gouvernement ne
peut adopter les mesures d'application142
. Mais il n'est pas du pouvoir du
juge de l'abroger, ou de l'annuler, pas plus qu'il ne lui est permis d'enjoindre
au législateur de procéder à son abrogation. La loi inconventionnelle
est donc bien toujours en vigueur, la preuve (bien théorique) étant que, si
le traité devait cesser de produire effet, la loi redeviendrait applicable de
ce seul fait143
. Il reste donc à chaque plaideur voulant éviter l'application
première proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de (44) lois obsolètes.
Sur la critique de ces lois BALAI, v. A. DENIZOT, RTD civ. 2022. 468.
136. V. supra nº 110.
137. CE, sect., 10janv. 1930, Despujol, GAJA, nº 39.
138. CE, ass., 10janv. 1964, Ministre de l'Agriculture c/Simonnet, Rec. 19.
139. Devenu art. 16-1 loi du 12 avr. 2000, RTD civ. 2008. 182, obs. A.-M. LEROYER.
140. V. Cons. const., 30juill. 2010, nº 2010-14/22 QPC, M.Daniel W. (Garde à vue), RTD civ. 2010. 513, obs.
P. PUIG.Pluslargement sur l'utilisation de cette notion dans le contentieux constitutionnel, P. GERVIER,« Le
changement de circonstances dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », RDP 2012. 89.
141. K.MICHELET, « La loi inconventionnelle », RFDA 2003. 23 ; analysant l'inconventionnalité du contenu
d'une loi comme une véritable déclaration d'invalidité de la loi, v. D. BOTTEGHI et A. LALLET, AJDA 2010.
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142. CE, 24 févr. 1999, Association de patients de la médecine d'orientation anthroposophique, AJDA 1999. 823,
note R. RICCI ; récemment, CE, 16juill. 2008, M.M., AJDA 2008. 1466.
143. Sur cet effet de la suspension, v. les observations sous la décision IVG, GDCC, nº 15-4 ; GADLF,nº 34.
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