Droit des affaires - Insolvabilité des États et dettes souveraines -1 - 53

La faillite souveraine en droit

des secours largement dispensés peuvent la sauver de la famine et de la banqueroute » 10. Keynes avait même anticipé les conséquences de cette situation s’agissant des réparations dues par l’Allemagne 11. Il prédisait que ces réparations allaient ruiner l’Allemagne et provoquer de nouveaux conﬂits en Europe. Quant à elle, l’opinion du second auteur, le Premier ministre britannique Lloyd George, était d’ailleurs sur ce dernier point bien moins conciliante : « Germany must pay the costs of the war up to the limit of her capacity to pay » 12. Il ajoutait néanmoins cet avertissement : « We have appointed a strong committee of experts, representing every shade of opinion, to consider this question [of German payment capacity] very carefully and to advise us. There is no doubt as to the justice of the demand. She ought to pay, she must pay as far as she can, but we are not going to allow her to pay in such a way as to wreck our industries » 13. En des termes différents, Keynes et Lloyd George ont ﬁnalement fait l’un et l’autre le constat que la capacité de remboursement d’un État, l’Allemagne en l’occurrence, est limitée. À la même époque, Edwin Seligman, tenant d’une approche historique et institutionnelle des ﬁnances publiques, se montrait également critique quant au manque de solvabilité du continent ruiné par la guerre : « The truth is that our [European] debtors are bankrupt. They cannot pay now, and will not be able to pay in any assignable time. I have found no prominent business man or banker here or abroad who believes that there is any possibility of paying the debts. You cannot extract water from stone » 14. Ces auteurs l’avaient bien compris en leur temps : les États, preneurs ultimes de risques 15, peuvent faire faillite. Mais il est vrai que cette assertion est en porte-à-faux avec la position dominante en macro-économie moderne aux termes
10. J. M. KEYNES, Les conséquences économiques de la paix (1919), trad. française, Les classiques des sciences sociales dirigée par J.-M. Tremblay. Cf. également J. M. KEYNES, “The Reparation Problem: A Discussion”, 39 The Economic Journal 172-182 (1929). 11. KEYNES, Les conséquences..., p. 84 et s. 12. LLOYD GEORGE, Discours à Newcastle, 29 November 1919. Il poursuivait dans les termes suivants : « When Germany defeated France, she made France pay. That is the principle which she herself has established. There is absolutely no doubt about the principle and that is the principle we should proceed upon that Germany must pay the costs of the war up to the limit of her capacity to do so », cité par KEYNES, op. cit., p. 85. 13. LLOYD GEORGE fait ici référence au Committe of Experts of the Reparations Commission établi par le Traité de Versailles. 14. E. SELIGMAN, "Is Allied Debt a Just Debt? Dr. Seligman Answers Hoover, Recent Speech Analyzed", New York Times, 5 Nov. 1922, publié dans Edwin R. A. SELIGMAN, The Allied debts (1922). Pour répondre à un discours du Secrétaire d’État Herbert Hoover, Seligman soulignait que la nécessité d’une remise des dettes est nécessaire pour la reconstruction économique. Ceci serait impossible avec une Allemagne en faillite : “There is no surplus of social income, and is not apt to be for a long time”. 15. Pour un aperçu fascinant du gouvernement comme ‘risk manager’, cf. D.A. MOSS, When all else fails: governments as the ultimate risk manager (2002).

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