Droit des affaires - Insolvabilité des États et dettes souveraines -1 - 81

La dette souveraine

créanciers sont non-résidents 20. Mais, à la vérité, du point de vue juridique, cette distinction n’est pas la plus pertinente. Plus encore, elle ne permet pas d’appréhender et de graduer ce risque juridique et monétaire spéciﬁque aux dettes souveraines que constitue l’intervention de l’État débiteur sur celles-ci. Pour mettre en lumière ce risque, la distinction pertinente n’est pas fondée sur la résidence du créancier, mais sur la nationalité de la loi applicable au contrat de prêt, celle de la juridiction appelée à en connaître en cas de litige et celle de la monnaie libellant la dette. Les dettes les plus exposées au risque souverain sont celles qui relèvent de la loi et de la compétence des juridictions de l’État débiteur et qui sont évaluées dans la monnaie de ce même État. Le débiteur dispose alors de la plus grande marge de manœuvre pour intervenir sur sa propre dette ; tant sa politique monétaire que son activité normative auront un effet immédiat sur ses emprunts. À l’inverse, les dettes les moins exposées au risque souverain sont celles qui sont soumises à la loi et à la compétence d’une juridiction étrangère et évaluées dans une monnaie étrangère. Du reste, entre ces deux catégories de dettes dont le risque va du plus au moins élevé, il existe également des catégories intermédiaires, pour lesquelles le risque d’intervention souveraine est médiat. Ce sera par exemple le cas d’une dette en monnaie étrangère, mais relevant du droit local 21 et inversement, ou bien payable en monnaie locale, mais indexée sur une devise étrangère 22. Mais, quoi qu’il en soit, la nationalité de la loi, de la juridiction et de la monnaie est un critère plus pertinent que la résidence du créancier. Certes, l’un recoupe fréquemment l’autre. Le plus souvent, les dettes entièrement rattachées à l’ordre juridique et monétaire de l’État débiteur sont souscrites par des résidents. Pour autant, il n’y a ici aucun caractère nécessaire : un résident argentin peut tout à fait acquérir des obligations émises par son propre État et soumises à la loi et aux juridictions de l’État de New York. À l’inverse, une grande majorité des
20. Deux économistes assignent toutefois à ces deux dénominations une signiﬁcation non exclusivement fondée sur la résidence du créancier et plus proche de celle développée au texte. Pour C.M. REINHART et K.S. ROGOFF, la « dette extérieure » correspond certes au montant total des dettes d’un pays envers des créanciers étrangers, mais lorsque les conditions de prêts sont « régies par la loi du pays du créancier ou par le droit international », tandis que la « dette intérieure » est certes émise dans le cadre national mais tout en étant « soumise au droit national » et ce, « quelle que soit la nationalité du créancier » : Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie ﬁnancière, Pearson, 2010, p. 29. 21. Pour les obligations en monnaie étrangère mais soumises à la loi argentine, la jurisprudence argentine a assoupli les dispositions de la loi de « pesiﬁcation » de 2002 en mettant en œuvre la théorie dite de l’« effort partagé », aﬁn d’éviter que les conséquences de ce texte n’affectent que les créanciers : Cour suprême de justice de la Nation, 15 mars 2007, Rinaldi y otro c. Guzmán Toledo y otra, JDI 2008. 215, obs. D.P. FERNÁNDEZ ARROYO. 22. Par exemple, les titres obligataires émis par le gouvernement mexicain et à l’origine de la crise souveraine qu’a connu cet État en 1994 – les fameux Tesobonos – étaient payables en pesos, mais indexés sur le dollar. Sur cette crise, v. supra, p. 11.

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