Confluence, le magazine de l’Agence de l’eau Seine-Normandie - N°68 - Février 2019 - 27

« Il nous faut restaurer
la mémoire des risques
naturels, pour
améliorer la gestion
des risques et réduire
notre vulnérabilité
aux phénomènes
extrêmes. »

Rapport du préfet de
la Marne à propos de
l'inondation de mai 1866.
Archives départementales
de la Marne.

Ex-voto de de l'église
de Gennevilliers (92)
commémorant le sauvetage
des sinistrés de l'inondation
de juillet 1615 par saint
Vincent de Paul alors
qu'il était curé (1612-1625)
de Clichy (92).

Repère de crue de la Seine
sur le pont royal à Paris :
inondation du 16 décembre
1696.

Emmanuel Garnier,

source d'information : les ex-voto, ces
œuvres que des fidèles commandaient à un
artiste local lorsqu'ils avaient survécu à une
catastrophe. « Ils portent la date, le lieu de
l'événement et le nom du commanditaire. Ce
sont des documents très précieux. La chapelle
Notre-Dame d'Honfleur en compte par exemple
une cinquantaine : c'est un véritable catalogue
des risques naturels en mer ! » Et lorsque les
matériaux historiques font défaut, Emmanuel Garnier va rencontrer les communautés et récolte les paroles d'anciens. Il vient
d'ailleurs de passer un mois en Australie,
avec des Aborigènes.

Recouvrer la mémoire
Que nous apprennent ses travaux ? Que
« la culture du risque a toujours fait partie
intégrante de la vie des communautés. Même
lorsqu'elles voyaient dans les phénomènes climatiques le signe d'une intervention divine,
elles acceptaient et vivaient avec le risque. Cela
permettait de préserver un état de vigilance.
Et de se protéger par des mesures pratiques. »
Par exemple, ne pas construire à moins de
500 mètres de la mer, ou préserver des
zones tampons, comme les marais blancs,
dans le bocage normand : des prés entourés
de rigoles, arbres et fossés qui, jusqu'aux
années 1950, absorbaient le trop-plein de
pluies... « Mais depuis les années 1960, ces
connaissances ont été peu à peu oubliées »,
regrette l'historien. Parce que les modes de
vie ont évolué, que l'agriculture s'est transformée et que les archives papier ont cédé
la place à des supports informatiques changeants et peu durables. « Résultat : il y a en
France une vraie rupture de mémoire. Lorsqu'une catastrophe dramatique déferle sur un
territoire, tout le monde est surpris. On se dit :

HISTORIEN DES RISQUES

Reconstitution

À la chasse aux indices

ans le paysage, ici et là, se
glissent parfois des indices
des événements naturels
passés. Les repères de crue, par
exemple. Ces traits gravés dans la
pierre ou ces plaques posées sur
les ouvrages d'art ou les façades
de bâtiments indiquent la hauteur
d'eau et les dates des précédentes
crues... « Même si ces repères se
font de plus en plus rares, et sont
surtout relégués en périphérie
des villes », regrette Emmanuel
Garnier. La toponymie - l'étude
des noms de lieux - peut aussi

"On n'a jamais vu ça." Mais si, bien sûr ! C'est
simplement qu'on l'a oublié... et que l'on a
construit sur des zones à risques. Car perdre
la mémoire du risque, c'est augmenter notre
vulnérabilité aux aléas naturels. »
Notre archiviste des risques milite donc, avec
les outils du pédagogue-chercheur, pour que
cette mémoire soit réhabilitée. Il prône un
travail interdisciplinaire : pour que les expertises des ingénieurs, historiens, géographes
et archéologues se complètent, au sein des
comités de gestion des risques. Pour que les
projets d'aménagement s'écartent des zones
à risques. Et pour que les espaces naturels

fournir des indices très « parlants »
de l'exposition des territoires
aux risques naturels. Si l'endroit
s'appelle « Noue » ou « Voivre »,
il s'agit d'une ancienne zone
de marais, ou régulièrement
envahie par les eaux. De même
pour « Héronnière » ou pour
« Saulaie » - les saules poussent
dans des sols humides, comme les
bords de rivière - et ses variantes
« Saussaie » et « Saussay ».
Autant d'indices que les « anciens »
nous ont transmis pour qualifier
la nature du milieu.

soient redessinés : « Collectivités locales, associations et agriculteurs peuvent reconstruire,
ensemble, des paysages durables et vertueux... »
Avec, par exemple, des zones tampons et des
haies, comme auparavant dans le bocage
normand.
Cécile Couturier

En savoir plus
Les ouvrages d'Emmanuel Garnier :
- Le Climat à découvert (collectif), CNRS Éditions
- Les dérangements du temps, éditions Plon
- La tempête Xynthia face à l'Histoire (co-écrit
avec Frédéric Surville), éditions Le Croît Vif

FÉVRIER 2019 -

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