Arts&MétiersMag - N°412 - Octobre 2019 - 71

C. MOITIÉ / AMM

Culture&Loisirs
À lire, à voir, à écouter...

Livres

Par Henri Frier (Ai. 63)

Musées

YANNICK HAENEL, éd. Fayard,
février 2019, 336 p.

Une initiation
à l'absolu

Par Henri Frier (Ai. 63) avec Jean Pécastaing (An. 60)

Les Compagnons : de l'esprit à la main

ESSAI - Avec le roman «Tiens ferme ta couronne»,

Royer, dans les deux salles d'un ancien dortoir de l'abbaye
bénédictine de Saint--Julien, le plus important musée français présentant l'histoire, les traditions et les chefs-d'œuvre
des compagnons du tour de France est installé à Tours
(Indre-et-Loire), ville qui comptait beaucoup de compagnons au début du XXe siècle. On le doit à Roger Lecotté
(1899-1991), conservateur à la Bibliothèque nationale, qui
convainquit les associations compagnonniques de la nécessité de préserver leur patrimoine et de l'exposer. Annoncez-vous comme gadzarts, et votre visite sera assurée d'une
attention bienveillante. Grâce au document remis à chaque
visiteur, les Aixois pourront vérifier au repère 12 que la
«cayenne» (local de réunion) est bien un terme emprunté
à cet autre univers confraternel.
La première salle est consacrée aux origines et à l'histoire
d'un mouvement ouvrier qui cherchait la solidarité, le
perfectionnement professionnel et la transmission de valeurs. On aimerait se faire
Charpente, chef-d'œuvre du
enfermer une nuit dans compagnon Francis Musseau, dit
la seconde salle où sont Tourangeau l'Ami du Trait (2004).
rassemblés les plus beaux
chefs-d'œuvre. Dans 27 vitrines, sont présentés des objets
exceptionnels couvrant les métiers du bois, de la pierre, des
métaux, du cuir et des textiles, de l'alimentation... Impossible
de rester indifférent devant les bottes Napoléon et Garibaldi,
la serrure à pièges et à secrets, celle à clé--pistolet, les bouquets
de Saint-Éloi des maréchaux-ferrants, les sabots géants unis
par la pointe, les Hospices de Beaune en pâte à nouilles. Le
Compagnonnage est inscrit par l'Unesco au patrimoine
Serrure à pièges et à secrets
culturel immatériel de l'humanité.

PHOTO MUSÉE DU COMPAGNONNAGE

TOURS - Fondé en 1968, sous le mandat municipal de Jean

PHOTO OLIVIER PAIN / MUSÉE DU COMPAGNONNAGE

réalisée vers 1860 par Émile
Ottia, dit Émile le Tourangeau,
compagnon serrurier du Devoir.

RACHEL CARSON, éd. Wildproject,
collection Domaine sauvage, juin 2019,
288 p.

Poétique des profondeurs
ÉCOLOGIE - La collection Domaine

MUSÉE DU COMPAGNONNAGE, 8, rue Nationale, à Tours ;
02 47 21 62 20 ; www.museecompagnonnage.fr

L'appartement témoin Perret
LE HAVRE - Détruit par les bombardements

en septembre 1944, Le Havre (Seine-Maritime) a fait l'objet d'un grand chantier lancé en
1945. Le projet de l'Atelier Perret s'est achevé
au milieu des années 60. Pionnier, l'architecte
travaille le béton armé comme la pierre pour
ses bâtiments en îlots. Le plan général est une
trame orthogonale. Auguste Perret (18741954) disait vouloir «inscrire la ville en mesure,
telle une harmonie musicale». Comme son La pièce à vivre de l'appartement imaginé
élève Le Corbusier (mais dans une approche par l'architecte Auguste Perret au Havre.
opposée), il s'est attaché à faciliter un nouveau mode de vie. Depuis 2006, quand le centre
du Havre a été inscrit au patrimoine mondial, un appartement témoin se visite. Double orientation, ensoleillement optimal, cuisine et salle de bains intégrées, vide-ordures, chauffage
collectif à air pulsé, ce logement raconte la naissance d'un modèle d'habitation. Le confort
fonctionnel de l'appartement est complété par du mobilier de série et des objets du quotidien
résolument «moderne» des années 50 : réfrigérateur, gazinière, autocuiseur, yaourtière, aspirateur, lave-linge, mais aussi tourne-disque ou machine à écrire.
MAISON DU PATRIMOINE, ATELIER PERRET, 181, rue de Paris, au Havre ; 02 35 22 31 22 ;
http://www.lehavretourisme.com, onglet «À voir, à faire», puis «Musées, sites et architecture».

finaliste du prix Goncourt et lauréat du prix Médicis,
Yannick Haenel atteint la notoriété littéraire en 2017,
faisant taire les polémiques mesquines autour de ses
premières œuvres. Pensionnaire de l'Académie de
France à la villa Médicis en 2008, l'écrivain consacre
son année romaine à s'immerger dans l'œuvre picturale
de Michel-angelo Merisi, dit Le Caravage (1571-1610).
Vingt-cinq ans après sa fascination d'adolescent pour
la désirable Judith (en couverture du livre), «aux beaux
seins moulés dans la transparence d'une étoffe», il
prétend découvrir qu'elle est en train de décapiter
l'Assyrien Holopherne. S'il veut bien accepter cette
approche intime - après tout, Stendhal à Rome
n'abordait pas autrement la peinture -, le lecteur
revisitera au long du récit la courte vie agitée du peintre
et «la soixantaine de ses tableaux éparpillés de par le
monde (des sacrifices, des extases, des heures saintes
et des mises à mort)». On appréciera qu'Haenel se
garde de l'attirance superficielle pour le côté «maudit»
de l'artiste et se concentre sur le défi de sa lumière et
l'évidence de sa solitude. En apothéose, nous retrouvons Judith, qui cueillait les visiteurs dès l'entrée de
l'exposition que le musée Jacquemart-André, à Paris,
consacrait au Caravage l'an dernier.

«La Mer autour de nous»

PHOTO PHILIPPE BRÉARD

C. MOITIÉ / AMM

«La Solitude Caravage»

sauvage présente des ouvrages fondateurs de la pensée écologiste. Dix ans
avant son «Printemps silencieux», la
biologiste américaine Rachel Carson
(1907-1964) s'était fait connaître en
1950 en vendant plus d'un million
d'exemplaires de son premier ouvrage - qui avait
suscité de nombreuses vocations d'océanographe. Le
livre de Rachel Carson nous rappelle que notre avenir
passe par la préservation des océans.
Sa réédition, dans la même traduction de Collin Delavaud, ne souffre pas de l'accumulation de nouvelles
connaissances scientifiques acquises entre-temps, car,
à la manière de Fernand Braudel, le tableau que Rachel
Carson dressait s'inscrit dans le temps long. Pour
rester dans cette époque et dans la prise de conscience
de la beauté et de la fragilité du vivant, on se souviendra
que Romain Gary, entré ce printemps à la Pléiade,
écrivit le premier roman «écologique», «les Racines
du ciel». En ces temps où la réalité du désordre climatique suscite les questions de la jeunesse, il est salutaire
que la génération des Trente Glorieuses transmette
aux plus jeunes que l'écologie s'est fondée sur de telles
approches d'auteurs talentueux et courageux.
Octobre 2019 - Arts&MétiersMag - 71

http://www.museecompagnonnage.fr http://www.lehavretourisme.com

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