Arts&MétiersMag - N°415 - Février 2020 - 27

AMMag - Pourquoi la formation du personnel
doit-elle, selon vous, s'imposer dans
l'entreprise ?
P. H. - La connaissance pointue des machines et
des lignes de fabrication par les ouvriers est
AMMag - Quel est le degré de maturité
précieuse, mais elle ne saurait suffire. En effet, leurs
compétences doivent être cultivées continuelledes industriels sur la maintenance
ment, notamment avec l'évolution spectaculaire
prévisionnelle ?
P. H. - Cela dépend des acteurs. Certaines entredes objets connectés et l'arrivée de nouvelles techprises concentrent encore l'essentiel de leurs invesnologies, telles que l'«edge computing», le «big
tissements sur la production et laissent la portion
data» [mégadonnées] ou l'intelligence artificielle.
congrue à la maintenance, car elles ne comprennent
L'adaptation des professionnels au nouvel envipas son intérêt. Leur maturité sur la maintenance
ronnement passe forcément par la formation, qu'il
- prévisionnelle ou non - est faible. D'autres,
s'agisse de celle des cadres comme de celle des
plus matures, ont compris que production et mainopérateurs. La formation ne saurait être réduite
tenance, au même titre que les autres services,
aux seules techniques.
jouent ensemble la même partition. Comme dans
Je suis très surpris, voire déçu, que des méthodes
un orchestre, si une équipe domine l'autre, il y a
comme la maintenance basée sur la fiabilité, qui
dissonance et le déséquilibre qui en résulte est
existe depuis les années 70, ne soient pas diffusées
nuisible à tous, donc à l'entreprise.
partout. Le personnel doit «a minima» être informé
du bien-fondé des méthodes émergentes afin de les
AMMag - Pourtant, la GMAO,
appliquer sans réticences.
Enfin, la formation joue un rôle
qui existe depuis une
«La vie industrielle
important dans la réglementation
trentaine d'années, aurait pu
réelle, avec ses
aider les chefs d'entreprise à
aléas, ne pourra pas relative à la sécurité des salariés et
à l'environnement, dont le recymieux comprendre les enjeux
être totalement
clage est une composante imporde la maintenance...
numérisée tout de
P. H. - L'appropriation de la
tante. Par exemple, on ne peut
suite. Les systèmes plus aujourd'hui se débarrasser de
GMAO [gestion de maintenance
peuvent servir
assistée par ordinateur, NDLR]
certains matériaux n'importe où
de garde-fous, pas
par les professionnels est toute
et n'importe comment ! Sur ces
de décideurs»
relative. Les premiers logiciels,
sujets, les professionnels de la
lancés au début des années 90 par
maintenance ont leur mot à dire.
les éditeurs, permettaient, dans leur version initiale,
«In fine», la formation a un impact positif sur le
de suivre les demandes d'intervention, de déclentravail des spécialistes de la maintenance. Elle
cher des actions de maintenance calendaires et,
apporte, même si c'est de façon indirecte, sa pierre
mieux, de partager l'information avec les autres
à la compétitivité de l'entreprise.
services, ouvrant ainsi un accès à la liste des travaux
AMMag - Alors que les promoteurs de l'IA
en cours, à l'état des stocks de pièces de rechange,
aux commandes en attente de réception, etc. La
laissent entendre qu'on pourra se passer des
GMAO remplaçait - et elle remplace encore -
êtres humains, vous clamez le contraire :
utilement les procédures manuscrites, les grands
l'Homme restera au centre. Pourquoi ?
tableaux dans les ateliers et certains fichiers Excel.
P. H. - D'abord, et c'est peut-être trivial, mais il va
Il s'agissait d'aider l'administration de la maintebien falloir s'appuyer sur des compétences héritées
nance, pas d'aider à maintenir.
du terrain pour créer les algorithmes efficaces.
Évidemment, la GMAO a évolué. Elle a été enrichie
Ensuite, parce que les résultats bruts devront être
de modules ayant trait à la sécurité au travail et à la
interprétés par des spécialistes.
maintenance préventive, systématique ou condiLa vie industrielle réelle, avec ses divers aléas, ne
tionnelle. Certains ont même intégré les balbutiepourra pas être totalement numérisée tout de suite.
ments de la maintenance prévisionnelle. De sorte
Les systèmes peuvent servir de garde-fous, certes,
que des outils à base d'intelligence artificielle,
mais pas de décideurs. Et n'oublions pas que tous
connectés, peuvent donner des instructions au
ces systèmes s'appuient sur des capteurs, sur des
logiciel de gestion de maintenance, par exemple
réseaux filaires ou radio, sur des serveurs, c'est‑àquand réaliser des travaux et, en retour, récupérer
dire, à nouveau, du matériel susceptible de tomber
les données du logiciel pour améliorer ses algoen panne. Le matériel ne se laisse pas toujours faire
rithmes de prévision. Ces outils, qui commencent
comme on le voudrait ; même certains écrous ne
à arriver sur le marché, sont capables de lancer un
se laissent pas dévisser si facilement !
Propos recueillis par D. K.
plan stratégique de maintenance à dix ans.
que de marques présentes dans l'atelier ! Dans ce
cas, l'industriel perd la main en cas de panne importante, avec des conséquences qui peuvent être
graves, comme le départ d'un client.

Le groupe
maintenance et
fiabilité se
développe
en mode
décentralisé
Le GP11 a été repris en 2015 par
Philippe Hinfray (Li. 78) et Miroslav
Lukic (Li. 90). Leur objectif était
d'animer la communauté des
Gadzarts intéressés par l'univers de
la maintenance et par la fiabilité des
installations industrielles et
tertiaires. Très rapidement, de
nombreuses actions ont été mises
en œuvre : conférences sur des
thèmes variés (les vidéos sont
disponibles en ligne sur AMTV) ;
actions communes avec d'autres
groupes professionnels sur des
thèmes transversaux ; relations avec
le mastère maintenance de l'Ensam.
Après ces actions parisiennes, les
animateurs souhaitent aujourd'hui
décentraliser le GP11 en s'appuyant
sur deux piliers : le Web et les
événements organisés partout dans
le monde.
Sur le Web, s'est installé depuis
janvier un rendez-vous mensuel,
«les mardis du GP11», chaque
deuxième mardi du mois de 20 h 15 à
21 h. Cette rencontre a lieu en direct
et est ouverte à toutes et à tous. On y
échange de manière conviviale sur
les actions en cours et à venir pour
l'animation du réseau GP11, ainsi
que sur des thèmes de fond liés à la
maintenance. Un forum a également
été ouvert pour la communauté des
maintenanciers, leur permettant
d'échanger sur des questions
pratiques.
La décentralisation s'organise, là où
sont établis les Gadzarts
professionnels de ce métier. Un
rapprochement avec les campus de
l'École est en cours pour y tenir des
conférences. L'objectif est multiple :
faire connaître la maintenance aux
élèves, créer du lien entre les
Gadzarts du GP11 des différentes
régions et participer au
rayonnement de l'Ensam en
impliquant les industriels locaux.
Pour rejoindre le GP11 ou suivre
son actualité, rendez-vous sur le
site d'Arts et Métiers alumni
www.arts-et-metiers.asso.fr
Contacts : phhinfray@gmail.com ou
miroslav.lukic@gadz org
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