Arts&MétiersMag - N°415 - Février 2020 - 37

Olivier Riou, directeur du Digital Experience Center

«L'industrie 4.0, une chance !»

Lesly, de Di-Analyse Signal, est une application de
maintenance prévisionnelle disponible sur le «cloud»,
donc n'importe où dans le monde, 24 heures/24 et
365 jours/365.

fonctionnement d'une chaudière. «Un cas inspiré du
réel», précise-t‑il. Le glissement du curseur sur n'importe quelle partie d'un des nuages ouvre une fenêtre
où on lit, en français, des informations capitales sur
l'état de la machine à un instant t : la consommation de
gaz, le taux d'oxygène, etc. «Il apparaît que la chaudière
a "sous-performé" quand elle était réglée entre 4 et 5,
avec 60 % de perte d'efficacité, et "surperformé" quand
elle était réglée au-dessus de 6. Alors, sur quel paramètre
agir pour augmenter la performance ? interroge Olivier
Riou. Des informations complémentaires révèlent
qu'avec un réglage de la purge d'air entre 58 et 69,7 et
celui du mélange d'oxygène de 5,1 % à 13 %, on obtient
93 % d'efficacité pendant 25 % du temps d'un cycle. Une
fois cette règle appliquée, la consommation de gaz
diminue... et les économies augmentent pour une
production d'énergie égale.» En s'appuyant sur les
données du passé, on optimise l'exploitation de la
chaudière au présent et dans le futur.
Cette application, comme d'autres, est disponible
partout dans le monde, 24 heures/24 et 365 jours/365,
en mode «cloud», quels que soient l'hébergeur ou le
fournisseur de services associés : Microsoft Azure,
AWS, Alibaba, etc. L'application peut aussi être installée
en mode local et déployée au plus près des automates
et commandes numériques.
Donner l'avantage aux «apps» françaises
La plateforme Mindsphere contient d'autres «apps»
(comme les nomme, à l'anglaise, Olivier Riou), applications créées par Siemens ou par des partenaires,
start-up ou non. Aussi simples d'usage que celle de
Braincube (analyse des données), on en trouve pour
différents usages : la 3D sur smartphone (Arskan), la
réunion d'équipe avec accès interactif aux données
industrielles (Shizen ou Iteca), la gestion de l'énergie
(Energiency), la maintenance prévisionnelle
(Di-Analyse Signal), la création d'une ligne d'assemblage façon Lego (Plant Simulation), l'optimisation
d'un produit ou d'une machine physique à partir de son
double numérique (Live Twin), l'amélioration de la prise
de décision des opérateurs et des instructions de travail
avec Picomto... «Chaque tâche en atelier a - ou aura
- son application», assure Olivier Riou. Les >>>

AMMag - Comment attireriez-vous
les entreprises à l'industrie 4.0 ?
Olivier Riou - Le 4.0, c'est aussi une question
de génération. Comment voulez-vous faire
venir des jeunes dans les usines et
transmettre les savoirs si vous leur parlez de
procédures, de manuels, etc. ? Alors que des
applications - surtout si elles sont «fun»
- peuvent allier convivialité et temps réel.
C'est cette vision de l'usine 4.0 que nous
promouvons à travers la plateforme IoT
[internet des objets, NDLR] ouverte
Mindsphere. Par ailleurs, le DEC [Digital
Experience Center, centre d'expériences
numériques] se définit comme un espace
collaboratif dédié à l'innovation dans les
processus industriels. C'est un lieu centré
sur la transition 4.0 au service des industriels
[lire l'article ci-contre].
AMMag - Quel est l'enjeu des données ?
O. R. - La continuité numérique, c'est aller
de la donnée à l'information pertinente, de
l'information pertinente à l'expérience, de
l'expérience à la réalisation du produit ou du
service, puis de recommencer le cycle dans
l'esprit de l'amélioration continue.
Aujourd'hui encore, par manque de données,
nombre d'industriels auscultent les incidents
afin de guérir leurs procédés, processus et
produits. Alors, bienvenue dans l'ère des
données : elles vont encourager de nouvelles
pratiques, focaliser sur les meilleures
performances, à l'image du comportement
des sportifs.
AMMag - Le vol de données est une crainte
souvent exprimée par les industriels.
Comment les rassurer ?
O. R. - Cette problématique est aussi
ancienne que l'Empire romain qui devait
arbitrer entre envoyer un coursier ou un
pigeon voyageur : quel est le plus rapide et le
plus sûr ? L'arrivée du «cloud» dans
l'industrie ne change pas grand-chose. Quid
de vos courriels, de vos présentations, de vos
transactions bancaires ? Je tiens à rappeler
que Siemens fut le premier industriel frappé
par un ver informatique, le fameux Stuxnet,
en 2010. Cette attaque nous a en quelque
sorte vaccinés puisque nous avons été, par la
suite, les premiers à obtenir la certification et
qualification CSPN2 de l'Anssi3 pour
l'ensemble de la gamme d'automates
S7-1500. Nos matériels sont donc
recommandés pour tous les opérateurs
d'importance vitale, tels que définis dans
l'article R. 1332-2 du Code de la défense.
Mindsphere a d'ailleurs inclus des
applications permettant de faire l'inventaire
des failles des parcs de matériels.
Il y a plusieurs façons de se protéger. La
première consiste à traiter les données en

PHOTO A. JACQUIN / ALMAPHOTOS

PHOTO DR

Olivier Riou (An. 94), directeur du Digital
Experience Center, démontre ici que la
transformation numérique représente une
chance d'attirer les jeunes vers l'industrie
et que la question de la cybersécurité ne
doit pas occulter les côtés positifs du 4.0.

OLIVIER RIOU (AN. 94)

Titulaire d'un mastère spécialisé en
management de la qualité (1998), Olivier
Riou commence sa carrière comme
ingénieur qualité production, puis
responsable qualité de l'activité contrôle
moteur chez Sagem Automobile, devenu
JCAE. Il devient directeur qualité du groupe
Morpho en 2004. Olivier Riou prend ensuite
la direction qualité des divisions roues,
freins et systèmes de freinage de MessierBugatti-Dowty (2011). En 2013, il quitte
Safran pour la direction qualité du groupe
Oberthur Technologies. Il rejoint ensuite la
start-up Brain Cube pour construire son
système de management, sa stratégie de
partenariats et d'ouverture du capital.
Recruté par Siemens en 2018, il dirige
actuellement le Digital Experience Center à
Palaiseau sur le plateau de Saclay
(Essonne).

local, via un serveur d'«edge computing». On
peut aussi sélectionner les données qui
partiront vers le «cloud», données
évidemment chiffrées, anonymisées et,
pourquoi pas, «blockchaînées». Il est
également possible de recourir au
chiffrement homomorphe - un système qui
permet de confier des calculs à un agent
externe, sans que les données ni les
résultats ne soient accessibles à cet agent,
très pratique quand cela transite par un
«cloud». Ou encore employer la méthode
«frama-c», développée par le CEA List, qui
autorise la détection des failles de sécurité.
Il faut traiter le risque bien sûr, mais
n'oublions pas les possibilités offertes par
l'industrie 4.0. Et la France possède un
potentiel incroyable pour se démarquer sur
ce marché prometteur. Les technologies et
les acteurs sont en place. Maintenant,
l'aventure doit accélérer.
Propos recueillis par Jean-Charles Guézel

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