Arts&MétiersMag - N°415 - Février 2020 - 56

Débats&Opinions

> Le billet
de Michel Harmant

Par-dessus l'épaule de Dieu ?

L'électroceutique

ESSAI - En publiant il y a dix ans «Esprit, où es-tu ?»

notre camarade Olivier Ferry (Li. 61) abordait en
théologien, par la forme interrogative, la place du
spirituel dans la civilisation industrielle occidentale.
La lecture de son second ouvrage donne le vertige,
comme un vade-mecum universel «pour les nuls», et
exige une démarche empathique. Il y aligne dix-sept
chapitres sur le savoir, le plus souvent en s'appuyant sur des ouvrages
répertoriés dans sa bibliographie hétéroclite. Avec, entre autres, Teilhard
de Chardin, les frères Bogdanoff, le théologien Ignace de Loyola,
l'entrepreneur Muhammad Yunus ou, encore, le statisticien Nassim
Nicholas Taleb - le mécanisme cartésien ou le positivisme d'Auguste
Comte sont écornés ! Les sciences dures sont (trop) vite passées au
crible des deux premiers chapitres, pour circonscrire dans les quatre
suivants la médecine en privilégiant le cas de l'autisme pour lequel il
s'appuie sur son propre engagement de rééducateur. Puis, tout en
s'avouant peu qualifié sur l'économie, il développe une réflexion surplombante sur les présupposés qui soutiennent les «savoirs» et les
pratiques, et se concentre sur le jeu de la volonté et de la liberté dans le
champ de la connaissance et de l'action. Ses conclusions iconoclastes
reviennent sur le rôle de l'«esprit» - mot employé cette fois avec une
minuscule. Une lecture exigeante.
Henri Frier (Ai. 63)
«La Liberté et le Savoir», par Olivier Ferry (Li. 61), les Éditions Sydney Laurent
(https://editions-sydney-laurent.fr), mai 2019, 232 p.

La lumière
des manchots

- Un livre
d ' images sur ce
continent qui disparaît : l'Antarctique.
Des clichés très graphiques, des lumières savamment
honorées, des détails
de gouttes d'eau sur
les plumes, des éclats
qui jouent sur le duvet, des matières somptueuses, le tout dans des teintes qui vont du
noir brun au blanc en passant par des gammes d'ocres et de bleus.
C'est émouvant comme de feuilleter un songe.
Depuis ses 17 ans, sensible aux questions environnementales,
François Sidot (Ch. 80) photographie la nature et ses habitants,
sur terre, dans l'air ou sous l'eau. Dès 1980, il est ainsi lauréat d'un
concours organisé par Christian Zuber sur les oiseaux d'Islande
et, trois ans plus tard, un reportage qu'il a effectué sur la faune et
la flore de Madagascar est à son tour récompensé. Cadre chez
Arcelor-Mittal en Arabie saoudite (il y réalisera un travail sur la
faune) puis au Luxembourg, le gadzarts n'exerce sa passion que
durant son temps libre. Jusqu'en 2016, année où il décide d'embrasser sa vie. François Sidot part alors pour le sixième continent,
le pôle Sud, dont il rapporte des images splendides, faites de forces
et de fêlures, qu'il partage aujourd'hui. AMMag lui consacre un
«Hors Cadre» p. 66.
Claudine Moitié
«Antarctica 120°», par François Sidot (Ch. 80), autoédition, juin 2019,
160 p. ; contact : http://www.francoissidot.com ; contact@francoissidot.com

PHOTO FRANÇOIS SIDOT

PHOTO

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PHOTO DR

Les Gadzarts publient

Il est assez naturel de se méfier de ce qu'on ne connaît pas. Mais la
méfiance doit-elle être à ce point stérilisante qu'elle occulterait à nos yeux
les réalités ? Dans notre société consommatrice d'émotions et
d'instantanéité, les affaires publiques font aujourd'hui peu de place à la
démarche scientifique. La référence qui lui est faite dans le «principe de
précaution» est un leurre. L'appétit pour la recherche scientifique ou
technologique n'est plus guère stimulé dans notre pays. L'élan qu'a connu
la recherche française dans la première moitié du XXe siècle s'est affaibli.
Le physicien Jean Perrin (1), qui reçut le prix Nobel en 1926 pour ses
travaux sur la discontinuité de la matière, créa à Paris l'Institut de biologie
physico-chimique. Ce laboratoire réunit des physiciens, des biologistes et
des chimistes. Jean Perrin leur avait donné pour mission de «percer les
secrets les plus dissimulés de la Nature». Leurs travaux, et ceux de leurs
confrères, ont débouché sur un progrès sans précédent de la santé et sur
l'expansion du secteur pharmaceutique. Près d'un siècle plus tard, la
santé publique et l'industrie pharmaceutique continuent de tirer les
bénéfices de cette recherche de pointe. Le médicament est devenu un
produit de grande
consommation. Il n'est pas
«Percer les secrets de
besoin d'être malade pour s'en
la nature n'est plus
faire prescrire. Les remèdes
sont conditionnés en quantités
un but, mais un moyen
excédentaires, favorisant le
de développer une
gaspillage et creusant le déficit
activité juteuse»
des assurances maladie. Cette
dérive de la consommation
médicamenteuse est bien ancrée en France. Il paraît difficile d'astreindre
notre société à de la frugalité en la matière. Mais la recherche et la mise au
point de nouvelles molécules mobilisent des ressources humaines et
financières toujours plus importantes, tandis que les vertus associées aux
molécules innovantes sont devenues décevantes. La course à l'innovation
dans le domaine des thérapies chimiques perdra de son intérêt, tant en
termes d'efficience curative que de rentabilité industrielle. Une autre voie,
la thérapie bioélectronique, est explorée. L'existence de phénomènes
électriques à l'intérieur des corps vivants n'est pas une découverte
récente. Luigi Galvani (2) en avait eu l'intuition, dès la fin du XVIIIe siècle,
en observant la contraction des cuisses de grenouille un jour d'orage. Il
avait ensuite caractérisé le phénomène par des expériences de
laboratoire. Il mettait ainsi un terme aux dénégations d'Alessandro
Volta (3), à propos de la réalité de ces phénomènes électriques. La science
est aujourd'hui capable de stimuler ou réduire l'activité des nerfs à l'aide
d'appareils miniaturisés, implantés dans le corps de façon ciblée. Il s'agit
de capsules de la taille d'une mini-gélule. Les nerfs affectés par ce
traitement régulent les organes responsables des systèmes métaboliques
et immunitaires. À l'encontre des traitements chimiques, la
bioélectronique concentre ses effets sur la seule zone à traiter. Aux
États-Unis, on vise un marché de 40 millions de dollars à l'horizon 2025.
C'est encore peu, au regard des chiffres de l'industrie pharmaceutique,
dont les grands groupes s'intéressent au développement de cette nouvelle
branche, l'électroceutique, autre nom de la bioélectronique. Les Français
y sont discrets. Percer les secrets de la nature n'est plus un but, mais un
moyen de développer une activité économiquement prometteuse.
Il eut le grand mérite de valider l'hypothèse atomiste, prouvant l'existence des molécules.
Physicien et médecin italien (1737-1798). L'appareil de mesure des faibles courants a été
appelé «galvanomètre» en son hommage.
(3)
Physicien italien (1745-1827), inventeur de la pile qui porte son nom.
(1)
(2)

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