Arts&MétiersMag - N°417 - Avril 2020 - 22

Dossier

Sous-traitance aéronautique / Expert

«Nous sommes tous dépenda nts
Pour Christian Cornille (Ai. 83), président de Mecachrome, si les grands donneurs
d'ordres exercent une pression sur leurs sous-traitants, ils restent attentifs à
l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Les métiers de l'aéronautique sont
des métiers de long terme qui exigent de vrais partenariats.
AMMag - On entend souvent dire que les grands donneurs
d'ordres de l'aéronautique adoptent les pratiques de l'automobile,
qu'ils imposent une pression toujours plus forte sur leurs
sous-traitants. Qu'en pensez-vous ?
Christian Cornille - C'est un peu réducteur. Certes, il y a une pression
économique de plus en plus forte, car le secteur aéronautique est en
constante progression et attire des entreprises d'autres secteurs en recherche de croissance. L'offre s'élargit et crée davantage de compétition
entre un plus grand nombre de sous-traitants, dans un contexte d'internationalisation. Nous, Français, allons chasser sur le terrain de nos
concurrents américains et eux font de même. C'est normal, mais cela
amplifie la pression de la compétitivité. Néanmoins, je ne connais pas
d'exemple d'un grand donneur d'ordres qui dirait que la qualité n'est pas
son problème. Les procédures de qualification des fournisseurs sont
extrêmement exigeantes. Dans ma vie professionnelle, j'ai eu la chance
d'être client mais aussi fournisseur. Notre secteur est fait de métiers de
long terme et de savoirs pour lesquels les partenariats sont indispensables.
Auparavant, c'était plus facile car nous avions du temps pour créer du lien.
Aujourd'hui, les sous-traitants sont face à des interlocuteurs qui, dans les
grands groupes, passent d'un poste à l'autre : ils ont désormais du mal à
établir ces relations à long terme. Ceux qui voient aujourd'hui défiler leurs
interlocuteurs peuvent se dire que «ce n'est plus comme avant».
AMMag - Les exigences de donneurs d'ordres n'ont-elles pas
un côté positif ? Ils obligent les sous-traitants à s'améliorer, donc
à être mieux armés face à la concurrence internationale...
C. C. - Avoir des clients exigeants aide à progresser et à être plus fort sur

son marché. Le label Airbus, par exemple, est très fort : c'est une sorte de
passeport pour les autres clients.
AMMag - Avec leur montée en compétences, les sous-traitants de
rang 1 sont-ils devenus indispensables pour leurs clients ?
C. C. - L'aéronautique est différente de l'automobile, où des sous-traitants
de rang 1 sont devenus des concepteurs d'une partie de l'automobile. Ce
n'est pas le cas dans notre secteur. Les sous-traitants sont encore très
dépendants des avionneurs. Ils verrouillent la partie ingénierie et demeurent les maîtres d'œuvre, les véritables architectes de la p
- lateforme.
AMMag - Dès 2018, certains observateurs ont alerté sur de
probables difficultés à venir chez certains sous-traitants... Quelle
est la situation aujourd'hui ?
C. C. - Il y a actuellement une conjonction d'événements défavorables,
alors que depuis dix ans nous n'étions confrontés qu'à une problématique
de croissance. Depuis quelques mois, nous subissons l'arrêt de l'A380 et
les difficultés de l'A400 M dont les cadences sont moins élevées que
prévu. L'A330neo a du mal à décoller, le Boeing 737 Max s'arrête et le
777X prend du retard. Cette accumulation assombrit le ciel des soustraitants. Chaque cas pris isolément n'est pas dramatique, mais l'ensemble
est suffisamment significatif pour occasionner un certain nombre de
dégâts dans la chaîne d'approvisionnement. Or, nous sommes tous dépendants les uns des autres. Si un petit maillon tousse, c'est l'ensemble de la
chaîne qui s'enrhume. Et comme nous sommes sur du temps long, on ne
remplace pas un sous-traitant défaillant du jour au lendemain. Chez
Mecachrome, nous avons la chance d'avoir des actionnaires qui nous

PHOTO DR

Une trentaine d'entreprises françaises
souffrent de l'arrêt du 737 Max

22 - Arts&MétiersMag - Avril 2020

Après deux crashs successifs peu après
le décollage en octobre 2018 et
mars 2019 (346 morts au total), les
Boeing 737 Max ont été interdits de vol
en mars 2019 et leur production arrêtée
depuis janvier 2020. Avec des
conséquences sur les sous-traitants
français.
Dans l'Hexagone, Boeing compte une
centaine de fournisseurs, ce qui
représente environ 30 000 emplois et
5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
Une trentaine d'entre eux est
particulièrement touchée, ceux pour
lesquels les fournitures pour le 737 Max

représentaient plus de 10 % du chiffre
d'affaires. Parmi eux, Safran (moteur,
roues, freins, câblage électrique, sièges)
a annoncé fin février la suppression de
l'équivalent de 2 130 postes dans le
monde - aucun licenciement en France.
À noter que 2018 avait été une année
record pour Boeing, avec 806 livraisons,
un chiffre qui a chuté à seulement
380 avions en 2019.
Actuellement, 400 appareils 737 Max sont
stockés en attente de livraison. Même
en cas d'une nouvelle autorisation de vol,
les sous-traitants ne peuvent pas espérer
un retour à la normale avant 2021.

https://www.linkedin.com/in/christian-cornille-71607632/

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