Arts&MétiersMag - N°417 - Avril 2020 - 50

Histoire&Patrimoine
Mémoire de Gadzarts

Les morts de Châlons

La typhoïde est
déclarée

Entre la mi-1807 et 1809, près d'une trentaine d'élèves de l'École impériale des Arts
et Métiers sont morts à Châlons. Une enquête minutieuse a permis de déterminer
le coupable, à l'époque inconnu : une entérobactérie du genre des salmonelles
responsable de la fièvre typhoïde. Troisième volet, plus médical, sur quatre.

Diagnostic des médecins d'aujourd'hui

Nous avons consulté trois médecins (lire l'encadré ci-contre) :
Jérôme Verlaine, Jean-Pierre Boucheron et Marie-Françoise
Maheu convergent tous vers une probable épidémie de fièvre

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typhoïde. Le docteur Jérôme Verlaine conclut ainsi son rapport : «L'environnement était favorable au développement de
la maladie, avec des eaux croupies à l'odeur fétide à proximité
de l'école, la promiscuité des élèves, l'hygiène insuffisante, la
vétusté des locaux, les latrines inadaptées et la canicule.»
Les symptômes décrits coïncident avec ceux de la fièvre
typhoïde : fièvre, douleurs abdominales aiguës (diarrhée,
abdomen gros et tendu, perforation), atteinte cardiaque
(œdème pulmonaire ; bouffissures et anasarques, c'est‑à-dire
œdème généralisé du tissu sous-cutané ; dilatation de l'oreillette droite), atteinte cérébrale (convulsion, prostration et
ataxie, c'est‑à-dire divers troubles de la conscience).
Mais la typhoïde ne sera décrite qu'en 1818 par Pierre Bretonneau, médecin français. Son bacille ne sera observé pour la
première fois qu'en 1880 par le médecin allemand Karl Joseph
Eberth, soit soixante-treize ans après l'épidémie de Châlons.
Et le premier vaccin ne sera introduit qu'en 1896 par Almroth
Wright, médecin britannique. Cela explique les errements des
médecins de l'époque, qui tentaient de trouver des causes à ce

Les
médecins
consultés
La Fondation AM
remercie les trois
docteurs en
médecine, consultés
indépendamment,
auxquels elle a
transmis des copies
des dossiers
rassemblant les
écrits, rapports et
certificats médicaux
liés à chaque élève
décédé :
* Dr Jérôme Verlaine,
généraliste, fils de
Jean (Li.  44) ;
* Dr Jean-Pierre
Boucheron, médecin
honoraire des
hôpitaux de Paris ;
* et Dr MarieFrançoise Maheu,
pneumologue à
l'hôpital de Dinan.

ROCKY MOUNTAIN LABORATORIES, NIAID, NIH

A

près avoir démontré qu'il n'y eut aucun décès
lors du transfert des élèves de Compiègne à
Châlons en 1806 (1) et qu'une grave épidémie
au second semestre 1807 entraîna de nombreuses victimes dont les noms ont été retrouvés (2), nous apportons dans ce troisième
volet (3) un versant plus médical éclairé par les connaissances
actuelles. C'est vraisemblablement une fièvre typhoïde, rapidement devenue épidémique, qui a emporté près de 5 % de
l'effectif de l'École entre la mi-1807 et 1809.
Rattaché au préfet de la Marne, le docteur Charles Moignon,
en charge de l'établissement pénitentiaire et de l'École impériale des Arts et Métiers de Châlons, fournissait chaque trimestre un bilan détaillé de la santé et de l'environnement des
élèves à l'inspecteur général, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Nous avons récemment retrouvé ses rapports. Début
1807, peu après le déménagement, le docteur Moignon écrit :
«Il n'existe pas de maladie régnante [d'épidémie, NDLR], on
note peu de malades (quatorze), les élèves transférés dans une
saison peu favorable n'ont pas eu de maladie dominante,
quelques cas de gale, de teigne et autres maladies de peau.»
Cela dédouane donc le transfert. En revanche, il note : «L'infirmerie est médiocre en tout, mais propre, au mieux des locaux.» Il formule aussi quelques premières recommandations :
«Il faudrait changer les chemises deux fois par semaine, surtout
l'été, aérer davantage le réfectoire, éloigner les baquets à uriner
et ne pas les vider contre les croisées de fenêtres, car il y a des
émanations putrides et malfaisantes en cas de soleil.»

Représentation
en 3D, ici en
rouge, de la
bactérie
Salmonella
enterica
sérotype
Typhimurium
sur une culture
de cellules
humaines. Ces
bactéries de
forme allongée
sont également
nommées
«bacilles».
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