Arts&MétiersMag - N°419 - Juin/Juillet 2020 - 55

Le gyrocompas mécanique,
sur le modèle de celui
breveté en 1908 par
l'ingénieur allemand
Hermann AnschützKaempfe, fut adopté
par toutes les marines
du monde. Il joua un
rôle important lors de
la Première Guerre
mondiale.

es s atellites
de l'ingénieur Wernher von Braun, l'un des
du XXe siècle. Il fallait concevoir et
futurs pères du programme spatial amérifabriquer des instruments d'une
cain, fut le précurseur de tous les engins
grande précision pour connaître
balistiques. Cette navigation «en boucle
pendant plusieurs semaines, voire
ouverte» se contentait d'intégrer les accéplusieurs mois, la position d'un
lérations mesurées par des accéléromètres
sous-marin en immersion ou celle
colinéaires avec les axes des gyroscopes. Elle
des avions qui traversaient les océans
ne concernait que de courtes durées de vol. Plus
sans moyen radio. Peu de sociétés relesophistiquée est la plateforme inertielle stabilisée
vèrent le défi - parmi elles, la Sagem.
par trois gyroscopes selon les axes desquels trois accéPHOTO STAHLKOCHER
léromètres mesurent les accélérations ressenties (dont la comLe défi de la Sagem
posante de gravité liée au défaut d'horizontalité). Intégrée en vitesse, elle
Dès 1958, Marcel Môme comprend l'importance de ces technologies.
commande une dérive des axes sensibles des gyroscopes à la vitesse V/R
Son gendre et successeur à la tête de la Sagem en 1962, Robert Labarre
(R = rayon terrestre) pour les maintenir à l'horizontale. Une nouvelle
(Cl. 40), poursuit les investissements massifs. Il embauche de nombreux
intégration donne la distance parcourue.
Gadzarts (lire l'encadré ci-dessous), tant il est évident que cela doit moCousin d'Anschütz-Kaempfe, Max Schuler montra en 1923 que ce système
biliser de nombreuses compétences. Un an plus tôt, De Gaulle décide de
bouclé constituait un oscillateur «accordé» sur la période de 84,4 minutes
lancer la force de dissuasion nucléaire française avec ses trois vecteurs :
insensible aux mouvements du porteur mais dérivant dans le temps en
terrestre (plateau d'Albion), sous-marine (sous-marin nucléaire lanceur
fonction des erreurs instrumentales. Cette période dite de Schuler serait
d'engins) et aérienne (Mirage IV). Henri Trouillon (Ch. 46) fut associé
celle d'un pendule théorique d'une longueur égale au rayon terrestre. Ce
de près au déploiement de ces vecteurs. De la précision de ses centrales
système a l'avantage d'être indépendant de toute source d'information
inertielles dépend la crédibilité d'une force de dissuasion nationale. Elle
extérieure, d'où son intérêt pour les véhicules stratégiques. Mais l'inconest doublement dépendante pour la composante sous-marine : celle du
vénient d'être un oscillateur pur dont les erreurs ne s'amortissent pas.
sous-marin porteur plus celle du missile.
Voilà la problématique de la navigation inertielle dans la deuxième moitié
Mécontents de voir la France ne plus dépendre du seul parapluie américain,
les États-Unis interdirent les échanges technologiques
avec la France. L'amiral Hyman Rickover, père de la
dissuasion américaine, déclara : «La France réussira
à réaliser la propulsion nucléaire des sous-marins,
mais jamais elle n'atteindra les performances de navigation nécessaires pour une utilisation opérationnelle
Deuxième président de la Sagem, Robert Labarre
qui rendrait sa force crédible.» Ce fut fait en moins de
(Cl. 40) a embauché de nombreux Gadzarts :
dix ans. Toute une génération de centrales inertielles
Bernard Amiot et Marc Sandouly, ses camarades de
promo, André Marchand, Bernard Masson (Ch. 44),
fut développée dès lors en France par la Sagem, en
Henri Vicat (Li. 52). En 1987, Pierre Faurre lui
toute indépendance et dans les performances exigées,
succéda, qui nomma en 1996 Daniel Dupuy (Li. 50) à
pour la marine, les engins balistiques et l'aéronautique,
la tête de la division défense et sécurité. On peut
dont près de 10 000 centrales inertielles Uliss équipant,
également citer Philippe Laurent (Ch. 58), inventeur
entre autres, les Mirages.
du gyroscope flottant compact, Claude Messan
C'était le triomphe de la mécanique, les gyroscopes
(Li. 52), Frédéric Martin (An. 56) et Cécile Sauret
(Bo. 78), qui maîtrisèrent les technologies des
comprenant des masses tournantes soit baignées dans
accéléromètres et gyroscopes, Marcel Tiget (Pa. 46)
un liquide, soit dans le vide, soit entraînées par un joint
qui développa les premiers systèmes
métallique vibrant accordé. Mais leur coût en limitait
aéronautiques, Loïc Camberlein (Li. 56) qui
l'usage au strict nécessaire : avions de ligne, marine,
introduisit les méthodes d'analyse numérique et
véhicules militaires. Dans le prochain numéro, nous
avec Pierre Faurre le filtrage statistique de Kalman,
parlerons de l'arrivée des gyrolasers, d'une fiabilité
Michel Prétet (Cl. 61) et Michel Perron (Ch. 56) qui
sans équivalent, qui ont progressivement éclipsé les
développèrent les systèmes balistiques, Polen
Lloret (Ch. 57) qui introduisit les premières
gyroscopes mécaniques... Mais ces derniers n'ont pas
centrales inertielles chez Airbus.
dit leur dernier mot, notamment dans l'électronique
Ci-contre, assis, Robert Labarre (Cl. 40), président de
grand public.
la Sagem de 1962 à 1987, avec Henri Vicat (Li. 52).
Jacques Paccard (Ch. 64)

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PHOTO SAGEM-SAFRAN

La Sagem, nid
de Gadzarts

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