Arts&MétiersMag - N°420 - Septembre 2020 - 12

Sur le vif

AMMag - Quels ont été les principaux obstacles ?
M. S. - Du 23 mars au 7 avril, nous nous sommes débattus
dans la réglementation française pour trouver une solution
d'importation robuste et légale. Ce fut dur, car chaque jour
apportait son lot de mauvaises informations sur l'augmentation des prix, la pénurie des produits et des transports, la
complexification des mesures douanières... C'est le 8 avril
que notre équipe a pu engager sur des bases raisonnablement
fiables la souscription auprès de nos camarades. Il y avait
encore beaucoup de points d'interrogation et nous avions
conscience du risque que nous prenions.
AMMag - Comment ont réagi les camarades ?
M. S. - Ils ont été extraordinairement efficaces ! Malgré nos
mises en garde - qui ressemblaient à : «Commence par
payer ! Ensuite, tu auras peut-être un jour ton produit !» -,
nous avons réuni en une semaine de quoi financer l'achat de
500 000 masques, quantité raisonnable pour que le fournisseur prenne en considération notre commande. En une
semaine, nous avons récolté 320 000 euros, ce qui nous a
permis d'engager la commande ferme le 13 avril.
AMMag - C'est là que la vraie vie commence...
M. S. - Oui ! Après la joie de ce succès, nous nous sommes
heurtés à la réalité de notre administration ! La banque, qui
nous avait promis que tout irait bien, «découvre» qu'il faut
vérifier la légalité de ce transfert, alerte certains de nos camarades sur notre opération et bloque le virement vers le
fournisseur qui avait accepté de lancer la production avant
même de recevoir l'argent - grâce à la confiance accordée
à Joël Nusbaumer et notre réseau local. L'argent est finalement transféré le 21 avril, mais cette grosse semaine perdue
était celle durant laquelle la Chine renforçait ses contrôles
à l'exportation, modifiait la liste des exportateurs agréés,
bref, changeait les règles du jeu ! Il nous a fallu faire déballer
l'ensemble de nos produits pour mettre dans chacune des
10 000 boîtes un certificat de conformité !
En France aussi, ça bougeait ! La TVA était passée de 20 %
à 5,5 %, tous nos devis étaient caducs... C'est seulement le
6 mai que notre dossier fut à nouveau «carré» et que nous
avons pu planifier l'expédition. Malheureusement, pendant

12 - Arts&MétiersMag - Septembre 2020

PHOTO ADOBESTOCK

>>> validation du processus envisagé. Un contact avec le
Gifas [1], qui réalisait la même opération pour ses adhérents,
nous a confirmé la légalité de l'opération.
M. S. - Nous avons mené deux actions en parallèle : d'un
côté en France, où nous recherchions la structure la mieux
adaptée pour importer et distribuer à prix coûtant les moyens
de protection, et ce, en toute légalité ; et, de l'autre, l'analyse
en Chine du marché des fournisseurs, des contraintes douanières et logistiques, de la certification des produits livrés.
Très vite, notre camarade Joël Nusbaumer (Ai. 90) nous a
apporté un soutien à forte valeur ajoutée technique sur ce
sujet pointu de la certification qualité des produits. C'est
avec lui que nous avons décidé du fournisseur. Le réseau
Chine nous a fait parvenir de son côté tous les éléments en
provenance de l'ambassade de France en Chine qui coordonnait les efforts d'organisation de ce flux.

Les 500 000 masques qu'ont commandés
les deux Gadzarts étaient la quantité
raisonnable pour que le fournisseur
chinois les prenne en considération.

«Si nos espoirs
de délais courts
se sont heurtés
à la dure réalité,
le bilan
économique
est néanmoins
correct, avec
un masque
coûtant
finalement
53 centimes !»

ce temps, sur le plan de la logistique, c'était l'engorgement.
Notre commande, finalement découpée en deux lots, fut
dédouanée après contrôle pointilleux, puis expédiée les 17
et 19 mai. La cargaison arriva en France alors que nous étions
au milieu du pic de charge des douanes françaises, les «ponts»
du mois de mai ne nous ont pas aidés et les produits furent
dédouanés seulement le 29 mai.
Tous ces contretemps successifs nous ont laissé le temps de
peaufiner notre logistique en aval, avec l'aide du GP logistique de Robert Canonne (Li. 67). Ensuite, tout est allé très
vite avec un fichier précis des destinataires, des adresses, des
volumes, etc. La majorité des masques fut livrée dès le 2 juin.
Nous avons enfin finalisé le coût complet de l'opération en
intégrant les frais de la société Alternative Plastique qui a
«porté» cette opération. Si nos espoirs de délais courts se
sont heurtés à la dure réalité, le bilan économique est néanmoins correct, avec un masque coûtant finalement 53 centimes. Honorable dans le marché du moment !
AMMag - Et si c'était à refaire ?
M. S. - Dans les périodes de crise, il faut réfléchir, mais pas
trop ! Sinon, on ne fait rien ! J'avoue que ç'a été bien plus long
et plus chronophage que ce que j'avais imaginé en mars, mais
j'ai eu un grand plaisir à mettre le réseau et l'énergie Gadz
au service de cette belle cause. Si c'est à refaire ? Oui !
J.-J. D. - Pour paraphraser Mark Twain : «Ils l'ont fait car
tout le monde leur avait dit que c'était impossible.» Évidemment, il faudrait le refaire et à plus grande échelle car
30 000 Gadzarts en entreprise auraient pu justifier l'importation de 1 ou 2 millions de masques pour le même labeur !
C'est aussi un signe pour nous tous de nous mettre dans une
dynamique d'action pour servir. Les temps à venir vont être
très difficiles pour toute notre communauté et les besoins
en actions de soutien et d'entraide vont être nombreux !
Propos recueillis par Éric Roubert
Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales.

(1)

Arts&MétiersMag - N°420 - Septembre 2020

Table des matières de la publication Arts&MétiersMag - N°420 - Septembre 2020