Arts&MétiersMag - N°421 - Octobre 2020 - 65

Le Mot du président», titré
«Coach, tuteur ou mentor? » et
paru dans le numéro de
juin-juillet 2020, p. 7, a fait réagir
Denis Rabeau (Bo. 179), coach
professionnel certifié.

Le coach sait qu'il ne sait rien
«Si la posture d'un coach est essentielle dans un accompagnement, des
nuances doivent être apportées à certains des propos de Jean-Marie Vigroux
(Bo. 174). "L'expérimentation se passe souvent de la théorie. [...] C'est également vrai pour les relations entre les personnes", écrit-il. J'apporte un bémol
car, si on nous avait appris dès notre plus jeune âge à écouter nos émotions,
à les accepter, à les partager et à utiliser notre capacité d'empathie, il a été
démontré que nos relations avec nous-même et avec les personnes que nous
côtoyons en seraient apaisées.
«Plus loin, il cite : "Le coach dispose de références théoriques. [...] Chaque
coach a ses spécificités, dont l'impact variera en fonction des personnes ou
des groupes accompagnés." J'y vois une limite : nous ne sommes pas juste
un cerveau sur pattes. Nos pensées prennent une part prépondérante dans
notre fonctionnement au détriment de nos émotions, de nos tripes et de notre
corps, qui participent à la complexité de l'être humain. Le niveau collectif
participe à cette complexité.
«Il poursuit : "La sagesse d'un coach consiste à reconnaître que ses techniques
ne sont pas efficaces sur tel individu ou sur tel groupe. Cela suppose d'admettre ses limites sans [...] faire reposer sur le coaché l'échec du coaching."
Il est effectivement crucial pour un coach d'admettre qu'il est aussi un être
humain. Il s'interdit d'exercer tout abus d'influence et peut refuser une prise
en charge. L'objectif est que le client développe son autonomie par rapport à
une situation donnée afin d'identifier les actions qu'il pourra mettre en œuvre
de lui-même.
«En ce qui concerne "l'instauration d'une relation de confiance", c'est aussi
primordial dans le cadre d'un coaching que dans celui du mentorat. Pour
que l'accompagnement soit efficient, il est nécessaire que le coaché aborde
sans retenue sa situation. Le coach doit mettre en place un cadre sécurisant,
bienveillant et exigeant pour les deux parties afin de libérer la parole sans
tabou. On parle même d'une alliance intime, qui permet au coaché d'exprimer en toute confidentialité ses craintes, ses peurs sans risque de jugement,
critique ou comparaison. Cela permettra au client de prendre en main les
responsabilités qui lui incombent au niveau du contenu pendant que le coach
pourra intervenir efficacement sur le processus d'accompagnement.
«J'espère que ce courrier vous aura permis de mieux cerner les rôles et responsabilités d'un coach professionnel certifié. Il peut être assimilé à un accoucheur de sens comme le décrivait Socrate : la maïeutique ou "l'art d'accoucher
les esprits" peut en effet être considérée comme précurseure du coaching
moderne. Par le biais du questionnement, l'esprit du questionné parvient à
trouver en lui-même ses vérités.
«Il est primordial pour le coach d'avoir cette posture socratique de "celui qui
sait qu'il ne sait rien"! Alors que le coaché ne sait pas encore qu'il sait. C'est
ainsi que le rôle du coach prend toute sa dimension : en faisant accoucher
par le questionnement cette connaissance enfouie chez son client.»

Denis Rabeau (Bo. 179), coach à Toulouse,
cabinet Vision Into Actions

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LE BILLET DE MICHEL HARMANT

Pour un progrès raisonné

CH. 161

PHOTO DR

CONFÉRENCES & DÉBATS COURRIER

Depuis le milieu du XVIII siècle, les esprits progressistes n'en
finissent pas d'appeler de leurs vœux l'avènement de «l'Homme
nouveau»(1). Au pays de l'«Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné
des sciences, des arts et des métiers», les visionnaires étaient
nombreux à professer une foi inébranlable dans le progrès, essentiellement matériel, qui devait délivrer le genre humain de
ses défauts et de ses misères. Notre époque hérite de cet élan,
qui a donné naissance à la société industrielle, aidée dans son
essor par l'exploitation des sources d'énergie fossiles. Depuis
bientôt trois siècles, les visionnaires et les philosophes font peu
de cas de la question des limites de ce progrès, auquel nos conditions de vie sont étroitement liées. Ce développement sans précédent dans l'histoire de l'humanité s'est accompagné d'une
explosion démographique qu'aucun prévisionniste du
XVIIIe siècle ne s'était hasardé à imaginer. Peu à peu, les esprits
se sont accoutumés à penser que ce qui n'est pas envisageable
aujourd'hui deviendra réalité demain. Ses limites dans le temps,
dans l'espace, dans les domaines d'application restant ignorées
des masses, le progrès était réputé capable d'effacer les peurs et
promouvait une confiance croissante en un avenir meilleur.
Dès le XVIIIe siècle, cette croyance reposait sur le bon choix
d'avoir pris la raison pour guide. L'«Encyclopédie» de Diderot
et d'Alembert en témoigne dans son sous-titre : «Dictionnaire
raisonné». Ce terme revient à la mode : dans les espaces paysagers publics, on voit fleurir des écriteaux portant la mention
«fauchage raisonné», lequel fait le bonheur des orties et autres
herbes folles. Ce signe d'émergence d'une sensibilité nouvelle
au raisonnement, censé gouverner nos
choix, est perceptible dans de nombreux
L'effet le plus
domaines. L'imagination humaine n'a
spectaculaire
pas de limites, mais la course au façondes retombées
nement de l'Homme nouveau ne saurait,
sans risque pour la civilisation, reprodu progrès est
duire aveuglément, en toutes circonsla croissance
tances, l'enchaînement qui va de l'imaexponentielle
des techniques gination à l'application générale en
passant par la recherche, la découverte,
mises à la
l'expérimentation, la production - dédisposition du
marche qui est, par excellence, celle des
plus grand
ingénieurs. Cette chaîne ne peut rester
nombre.
vertueuse que dans une attitude de civilité, garante de choix «raisonnés». Ce
comportement a construit la civilisation. S'en écarter est annonciateur d'un retour à la barbarie, que le progrès n'a pas encore
maîtrisée. L'effet le plus spectaculaire des retombées du progrès
est la croissance exponentielle des techniques mises à la disposition du plus grand nombre. L'usage de ces techniques devient
le facteur prédominant de l'évolution de l'être humain dans le
contexte du progrès sans limite.
L'Homme a montré sa capacité de progresser pour améliorer son
bonheur sur Terre, mais aussi pour fabriquer son malheur. Les
nombreux choix qui se présentent sur le chemin du progrès ne
peuvent s'affranchir de repères moraux, même si la référence
aux valeurs morales a été, depuis trois siècles, quelque peu bousculée par la soif de toujours plus de progrès et la fascination
immodérée pour l'Homme nouveau, qui stérilisent le sens personnel de la responsabilité, seul capable de concevoir des limites
raisonnées à nos initiatives.
e

Du latin «homo novus». Aux XIXe et XXe siècles en Europe, l'expression sera reprise et
dévoyée par les régimes totalitaires (fascisme, nazisme, stalinisme), NDLR.

(1)

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N°421 / Octobre 2020

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