Arts&MétiersMag - N°423 - Décembre 2020/Janvier 2021 - 47

DOSSIER LE DÉFI DE LA DÉCARBONATION

«La fin du pétrole
n'est pas pour demain»

Les progrès techniques et la baisse des coûts des énergies renouvelables, les contraintes réglementaires et la
pression pour qu'ils diminuent leur empreinte carbone font-ils des grands groupes pétroliers des acteurs en sursis ?
Nous avons posé la question à Colette Lewiner, membre de l'Académie des technologies
et administratrice de diverses sociétés.

PHOTO DR

AMMag - Comment peuvent évoluer les
grandes sociétés pétrolières ?

COLETTE LEWINER, EXPERTE EN ÉNERGIE
Agrégée de physique et docteure ès sciences
physiques de l'École normale supérieure, Colette
Lewiner démarre sa carrière à l'université de
Paris avant de rejoindre EDF (1979). En créant la
direction du développement et de la stratégie
commerciale en 1989, elle devient la première
femme directrice à EDF. En 1992, elle rejoint
Cogema comme PDG de SGN (9 000 personnes
dans l'ingénierie et les services). En 1998, chez
Capgemini, elle crée la branche mondiale
«Energy, Utilities and Chemicals» (énergie,
équipements des collectivités et chimie), qu'elle
développe et dirige jusqu'en 2012. Aujourd'hui,
elle est conseillère «Energy & Utilities» du
président de Capgemini. Colette Lewiner est
membre de l'Académie des technologies et
administratrice indépendante d'EDF, Bouygues,
Getlink (ex-Eurotunnel) et CGG.

faux dans les pays en développement, par
exemple sur le continent africain où la population, qui va doubler, voudra également améliorer son niveau de vie.

Colette Lewiner - Elles sont soumises à plusieurs
tensions. Les prix ont fortement baissé début
2020 à cause de la surproduction organisée par
l'Arabie saoudite, à la suite de la mésentente
AMMag - Quelles technologies permettent
entre la Russie et l'Opep. Simultanément, la
de «verdir» l'économie ?
crise sanitaire a eu un impact négatif sur la
C. L. - La décarbonation passe par l'électricité
consommation, faisant s'effondrer les prix
produite, notamment, par les ENR [énergies
- devenus même par deux fois négatifs aux
renouvelables, NDLR], solaires ou éoliennes.
États-Unis. Par ailleurs, leurs actionnaires font
Leur coût devient compétitif mais elles sont
pression pour que ces sociétés diminuent leur
intermittentes. Il faut donc leur associer des
empreinte carbone. Pour cela, elles doivent agir
sources d'électricité programmables ou stocà trois niveaux : d'abord en diminuant leurs
kables. N'émettant pas de GES, l'énergie nuémissions - arrêter, par exemple, de brûler à
cléaire, en tant qu'électricité programmable, est
la torchère le méthane découvert avec le pétrole
un bon complément des ENR. Il faudrait garder
en off-shore. Pour compenser leurs émissions,
les centrales sûres et construire un nouveau
elles achètent des «certificats verts». Ennucléaire compétitif.
suite, en marchant vers l'électricité
Les stations hydrauliques de turbiverte, qu'elles peuvent acheter.
nage et pompage permettent de
Nombre de pétroliers diversistocker de grandes quantités
N'émettant pas
fient leurs activités : énergies
d'électricité mais, en Europe,
de GES, l'énergie
renouvelables, production
presque tous les sites sont
nucléaire, en tant
d'hydrogène, recharges de
déjà équipés. Le stockage
qu'électricité
véhicules électriques. L'expar batterie stationnaire est
programmable, est un aussi possible mais, compte
compagnie nationale danoise
bon complément
en est l'exemple le plus spectenu du volume de batteries
des ENR.
taculaire : Œrsted a changé de
nécessaire, seules quelques
nom en devenant productrice
heures de consommation sont
d'énergie éolienne off-shore. Enfin,
stockables.
troisième niveau, en diminuant les GES
Intéressant pour sa capacité à stocker
[gaz à effet de serre, NDLR] émis par les clients.
l'électricité, l'hydrogène «gris» est fabriqué à
C'est le plus difficile. Pourtant, c'est l'enjeu le
partir du gaz naturel ou de charbon : sa fabriplus important.
cation émet beaucoup de GES. Il faut donc
s'orienter vers l'hydrogène «vert», produit à
AMMag - Selon le patron de BP, nous
partir d'électrolyse de l'eau avec une électricité
aurions atteint le seuil maximal de la
«verte». Mais son coût est aujourd'hui trois plus
consommation de pétrole. Partagez-vous
élevé que celui du «gris». Les spécialistes pence point de vue ?
sent que le coût de l'hydrogène «vert» sera
C. L. - Ce «peak oil» est probablement atteint
concurrentiel vers 2030.
In fine, s'il existe des solutions écologiques, la
dans les pays les plus développés, qui agissent
fin du pétrole n'est pas pour demain.
fortement en faveur des économies d'énergie
- à l'exception, peut-être, des États-Unis. C'est
Propos recueillis par D. K.
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N°423 / Décembre 2020-Janvier 2021

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