Arts&MétiersMag - N°425 - Mars 2021 - 72

(Ai. 163)

Tu aurais pu vivre encore
un peu... d'Ernest PignonErnest et Lyonel Trouillot, éd.
Bruno Doucey, coll. «Passage des
arts», novembre 2020, 96 p.

18 carats

déchantés

Jean Ferrat est mort
le 13 mars 2010. Dix ans après l'extinction de sa voix chaude, qui
chantait les poètes et sa France,
deux artistes - le plasticien français avec ses fusains, l'écrivain haïtien avec sa prose - mêlent leurs
portraits de 18 étoiles brillant dans
une constellation dont Ferrat est le
cœur. Des poètes, des peintres, des
écrivains de son Panthéon et du
leur. L'ouvrage se laisse regarder
comme on contemple la nuit étoilée au mois d'août. Mais, à cheminer comme dans une galerie d'art
urbain, hélas, au ﬁl des pages, le
parcours devient brouillon. On
n'est pas ébloui dans un théâtre
d'ombres ! Las, le réemploi systématique de bribes de poèmes ne
fait pas un livret !
Le lecteur de ce bel album a l'impression d'attendre que s'accordent
deux instruments. Il ne lui reste
qu'à le feuilleter en fredonnant la
suite de la chanson «Tu aurais pu
vivre encore un peu, T'aurais pu
rêver encore un peu, te laisser bercer près de la rivière...»
H. F.
BEAU LIVRE

Les Trois Collines de
Frédéric Valabrègue, POL,
novembre 2020, 222 p.

La ville des

«buveurs d'air»
Le titre,
qui évoque les collines d'Endoume,
de Bompard et du Roucas blanc,
m'a donné le goût de redevenir
promeneur à Marseille. Prof d'histoire de l'art et romancier(1), l'auteur
se mêle à trois épisodes ayant
contribué à la chute de la maison
Gaudin. Après passage en force sur
un site archéologique pour y
construire un immeuble de standing, saccage dissimulé par un mur
sur le plateau de La Plaine, il y eut,
le 5 novembre 2018, le drame de
la rue d'Aubagne, ses 8 morts, ses
relogés aussitôt abandonnés à euxmêmes. L'auteur observe la «fraternité inﬁnie» des habitants face aux
portes closes des édiles. La fracture
qu'il décrit, c'est le territoire public
conﬁsqué aux ﬁns de spéculation,
la politique de sectorisation dressant des barrières entre les
populations.
Un quatrième chapitre, où l'on se
perd car trop touffu, survole les fameuses trois collines aux sommets
coiffés de somptueuses villas tournant le dos à la ville, puis accompagne des «buveurs d'air» dans
leurs échanges sur le «vivre-ensemble, la plus belle qualité de
cette ville». Quel vent !
H. F.
PAMPHLET LITTÉRAIRE

«La Ville sans nom», premier roman de
Valabrègue, édité en février 1989 chez POL,
était déjà consacré à Marseille.

(1)

Arts&MétiersMAG

N°425 / Mars 2021

Les Aérostats d'Amélie

Nothomb, éd. Albin Michel, août
2020, 176 p.

Fortissimi sunt

Belgae

ROMAN Deux ans après «les
Prénoms épicènes», la Belge (nationalité épicène) Amélie Nothomb
nous livre un bien court roman de
rentrée, chassé-croisé d'une subtile
psychologie entre une narratrice,
Ange, et un personnage adolescent
- donc tourmenté - prénommé
Pie, dyslexique comme l'était l'autrice au même âge. Un Dominique
quinquagénaire vient pimenter le
jeu d' un théâtre maitre-élève. La
dernière page avance cet oxymore :
«La jeunesse est un talent, il faut du
temps pour l'acquérir.»
L'unité de lieu est respectée, tout
se passe à Bruxelles, ses belles maisons de ville traversantes, sa forêt
de Soignes. Et son parc du
Cinquantenaire, où les deux personnages ont rendez-vous, au musée de l'Air, avec deux nacelles de
zeppelins d'observation, qui ont
amené le titre. L'arrière-plan historique (je veux parler de l'as Willy
Coppens qui, aux commandes de
son Diable bleu, a détruit moult
Drachen en 1918) est attendu mais
ne sera pas suggéré dans ce roman
d'apprentissage qui élève par sa légèreté et convoque des sommets
littéraires pour amener la passion
de la lecture.
H. F.

et Claude Prost
(Ai. 156)

La CFRNA-CIDNA -
Première Compagnie
aérienne européenne de

Maryla Boutineau, éd. Heimdal,
novembre 2020, 232 p.

Vol

de nuit

HISTOIRE Après la guerre de 1418, les pilotes étaient désœuvrés et
les avions dans les hangars. C'est
ainsi qu'un banquier roumain et
un pilote ambitieux eurent l'idée
de fonder une compagnie aérienne.
Entre 1920 et 1933, la Compagnie
franco-roumaine de navigation aérienne, devenue la Compagnie internationale de navigation aérienne
en 1925, a établi et exploité des
lignes régulières entre Paris,
Strasbourg, l'Europe centrale
jusqu'en Turquie. Le livre retrace
l'aventure de l'ancêtre d'Air France
à partir de comptes rendus de vols
et de correspondances privées. L'un
d'eux écrit : «C'était une folie, de
faire ces vols de nuit à cette époque
avec le matériel dont nous disposions. Peut-être, mais [...] nous
l'avons fait.»
L'ouvrage est passionnant pour qui
s'intéresse aux débuts de l'aviation
civile. Il y eut de nombreuses victimes : les moteurs cassaient, les pilotes naviguaient à vue, même de
nuit, et, jusqu'en 1927, sans cockpit ! C'est à force de drames, de ténacité, de courage et, parfois, d'inconscience que l'aviation, aujourd'hui
si sûre, est née.
C. P.

PHOTO C. PROST

par Henri Frier

PHOTO C. MOITIÉ / AMM

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