Arts&MétiersMag - N°429 - Septembre 2021 - 54

CONFÉRENCES & DÉBATS COURRIER
CERCLE LA ROCHEFOUCAULD
Guillaume Levasseur (Me. 213)
est doctorant à Iridia, le
laboratoire de recherche sur
l'intelligence artificielle de
l'Université libre de Bruxelles.
Inquiet que la rédaction n'y
évoque pas les défauts de l'IoT, il
réagit au dossier titré «Internet des
objets, sonnant et trébuchant», paru dans AMMag en avril 2021, p. 32.
Les limites de l'internet
des objets
«Il est bon de lire des articles présentant des exemples concrets d'IoT [internet
des objets, NDLR]. Ces exemples aident à saisir la portée de la technologie,
au-delà de l'effet de mode. Toutefois, votre dossier ne mentionne
pas les limites de l'IoT. Et pourtant ! Dans le même numéro, p. 20, l'article
sur Mecalac suggère la première d'entre elles : l'interopérabilité. Le fait que
les capteurs et actionneurs connectés utilisent le protocole internet comme
couche réseau ne garantit pas qu'ils parlent la même langue. Le problème
se complique lorsque l'IoT doit en plus communiquer avec d'autres technologies
comme les outils CRM ou ERP existants dans l'entreprise.
«La deuxième limite est la sécurité. Tout appareil connecté augmente la
surface d'attaque. Aujourd'hui, un SoC [System on Chip] gros comme l'ongle
du pouce contient un ordinateur Linux. Si le réseau n'est pas sécurisé et
que l'appareil n'a pas de pare-feu, c'est cadeau. Une fois l'appareil compromis,
il y a trois grandes avenues d'attaque : le cryptage des données de l'entreprise
par rançongiciel, la mise hors service de l'usine et l'attaque contre
un gouvernement.
«Troisième limite, la confidentialité. De nombreuses solutions IoT font appel
au " cloud " , joli mot pour qualifier la sous-traitance du stockage et du
traitement de données. Cela implique que les données de production sont
envoyées sur un serveur. Quelque part. On espère en Europe. Ou en
Amérique. Ou, pire, en Asie. Il est impératif que ledit serveur soit sûr afin
d'éviter toute fuite de données confidentielles - telle que la dispersion de
données médicales par négligence.
«Enfin, la quatrième limite de l'IoT est l'impact environnemental.
Contrairement à ce que suggère le dossier, l'IoT présente des problèmes
pour le développement durable. La silice utilisée pour la fabrication des
puces comme pour le béton contribue à l'épuisement des ressources en
sable de mer et à la destruction des écosystèmes. Le problème est aggravé
par la conception même du matériel, qui empêche toute réparation. À l'autre
bout du cycle de vie, l'appareil défectueux ou obsolète vient s'ajouter aux
montagnes de déchets électroniques et au gaspillage de matériaux rares.
«Votre dossier aurait pu présenter les limites de l'IoT en plus de ses aspects
positifs. Sinon, on risque de tomber dans le discours promotionnel, fort
éloigné du métier de l'ingénieur.»
Guillaume Levasseur (Me. 213)
Réponse de la rédaction - Un journal ne peut épuiser un sujet en une seule
fois, sous peine de lasser ses lecteurs avec des dossiers fleuves de dizaines de
pages ! En l'occurrence, la rédaction avait choisi de mettre l'accent sur les avantages
économiques de l'internet des objets. Nous reviendrons sur cette technique
en la traitant sous d'autres angles, notamment celui de la sécurité.
Coup de cœur ou de gueule, faites-nous
part de vos réflexions : cette page vous est ouverte.
Pour être publié, écrivez-nous en précisant vos nom,
promo et fonctions actuelles ou passées à :
amm@arts-et-metiers.asso.fr
54 Arts&MétiersMAG
LE BILLET DE MICHEL HARMANT
Ch. 161
Doute et décision
Le doute et le besoin de décision se partagent l'inspiration de nos
réflexions et accompagnent nos actions. Si la décision est le principal
moteur de l'action, le doute qui l'a précédée ne s'efface jamais totalement.
Il reste présent, évolue au fil de l'accomplissement des actes
et de la venue des événements. La relation que nous entretenons
avec la notion de doute dépend de notre esprit et de notre éducation.
Les esprits scientifiques, formés aux réalités de la technologie et à la
rigueur de la démarche scientifique, font du doute un outil de progression
vers la résolution des problèmes et la recherche des réalités.
Cette démarche leur paraît naturelle. Elle devient instinctive. La réflexion
est, pour eux, ancrée dans le concret. Nos racines nourrissent
cet instinct, parfois qualifié de «bon sens paysan».
Cet esprit n'habite pas l'ensemble de nos contemporains. Notre
monde d'aujourd'hui fait grand cas des concepts. Le concept n'est
pas directement contingent des réalités. Il se développe dans l'abstraction.
Les esprits non scientifiques se sentent à l'aise dans la
manipulation et le commerce des concepts. Les esprits scientifiques
et les esprits non scientifiques éprouvent parfois des difficultés à
se comprendre. Mais les uns et les autres ont recours, de plus en
plus fréquemment, à la
machine. Sa puissance de stockage
et de traitement des données
relègue celle de l'esprit
humain au rang de partenaire
dépendant.
La robotisation envahit tous les
compartiments de nos activités.
Les esprits scientifiques comme
les autres peuvent difficilement
s'en passer. Les robots sont devenus
tellement performants
que nous craignons de voir leur
contrôle nous échapper. Cette
crainte se mêle à l'espoir d'un
progrès sans précédent. L'un et
l'autre se retrouvent dans l'expression
«intelligence artifiintuitions
éduquées.
Le commerce des
concepts engendre
une confusion entre
vérité et effet,
lucidité et
sensationnalisme.
cielle». C'est un espoir, parce que la mal nommée «intelligence artificielle»
nous promet la résolution des problèmes les plus ardus,
l'extension sans limite du savoir et du pouvoir. C'est aussi une crainte,
car elle ouvre la perspective d'asservissement de l'être humain à la
machine, dans un futur qui ne semble plus très éloigné.
Cette crainte et cet espoir font partie des concepts infiniment manipulables
par notre imagination. Mais confondre ce rêve avec la réalité
ferait oublier que la machine ne peut proposer des solutions qu'à
partir de données enregistrées, c'est-à-dire issues de réalités passées.
Même si elles sont réajustées au fil de l'accumulation de données, il
s'agira toujours de données passées. Par exemple, la prévision météorologique,
de plus en plus fiable, reste sujette à la contradiction
des événements réels. La machine peut beaucoup, mais elle est incapable
de produire le doute salutaire, celui qui naît des intuitions
éduquées. Le commerce des concepts engendre une confusion entre
vérité et effet, lucidité et sensationnalisme. Il entretient le flou entre
mythes et réalités.
L'avantage de l'esprit humain est qu'il fonctionne dans le présent et
qu'il a synthétisé sa vision du futur à l'aide de l'intuition, forme naturelle
de l'intelligence. Sa capacité d'anticipation reste indispensable
à la prise de décision.
N°429 / Septembre 2021
La machine peut
beaucoup, mais
elle est incapable de
produire le doute
salutaire, celui
qui naît des
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