Arts&MétiersMag - N°442 - Février 2023 - 45

LE BILLET DE MICHEL HARMANT
L'ingénieur
et la politique
CH. 161
De gauche à droite : Laurent Champaney, directeur général d'Arts et Métiers,
Nadège Troussier, directrice générale adjointe chargée des formations,
Krystal Zaouane (Ch. 220), présidente de l'Union des élèves Arts et Métiers, et
Thierry Lucotte (Cl. 177), président d'Arts et Métiers Alumni, font la promesse
d'un engagement très concret de la communauté Arts et Métiers
face aux enjeux de réindustrialisation responsable.
En matière de qualité de vie, l'UEAM et les associations
étudiantes des campus réalisent de nombreuses interventions,
notamment de lutte contre les addictions, les discriminations
et les violences sexuelles et sexistes. Elles s'appuient
pour cela sur des dispositifs mis en place en lien étroit
avec l'Ensam, les alumni et la Fondation santé des étudiants
de France (FSEF), tels que l'EVA (pour «écoute, veille et
accompagnement») et le Peer Care (addictions). «Le bienêtre
étudiant et les enjeux environnementaux sont au cœur
de nos actions», souligne Krystal Zaouane (Ch. 220), présidente
de l'UEAM.
ÊTRE LES LEADERS DES ENTREPRISES
RESPONSABLES
«Depuis plus de deux siècles, les Gadzarts sont les acteurs
incontournables de l'industrie», rappelle pour sa part Thierry
Lucotte (Cl. 177), le président d'Arts et Métiers Alumni, la
«Soce». «Aujourd'hui, ils se doivent d'apporter une réponse
aux enjeux sociétaux et environnementaux, martèle-t-il. Pour
atteindre ces objectifs, Arts et Métiers Alumni peut s'appuyer
sur son ancrage territorial et sur l'efficacité de ses 48 groupes
professionnels [chacun d'eux réunissant de 700 à 2 800 experts
et ingénieurs, NDLR] pour renforcer l'engagement de
ses membres dans l'industrie, l'entreprise et la société. Une
centaine de groupes régionaux en France multiplient les liens
entre l'Ensam, les alumni et les entreprises. Ils se révèlent
particulièrement utiles lorsqu'ils sont situés dans le bassin de
recrutement d'un des huit campus de l'école. Nous entendons
appuyer l'engagement des ingénieurs Arts et Métiers dans
l'avènement d'industries responsables et renforcer leur influence
dans la transformation environnementale, sociétale,
industrielle et numérique en France.»
Éric Roubert
À quoi sert de parler politique si on n'agit pas ? Les ingénieurs
sont des femmes et des hommes d'action. Mais leur engagement
en politique reste marginal. L'ingénieur s'engage le plus souvent
localement, à proximité de ses mandants. C'est un engagement à
caractère associatif ou bénévole dans la plupart des cas. Un ingénieur
n'a pas la même relation avec le profit qu'un commerçant,
un banquier, un assureur ou un politicien. L'ingénieur chef de
projet ou d'entreprise reconnaît que le profit est un moyen indispensable
pour mener à bien son projet, faire vivre son entreprise
et la développer, mais il accorde au respect de l'éthique une importance
égale à celle de la recherche du profit. Pour lui, l'éthique
n'est pas soluble dans le profit, elle est intrinsèque à son rôle de
créateur. Il n'accepte pas le déni des faits. Quand il commet une
erreur, l'ingénieur cherche à la corriger. Il prend des dispositions
pour ne pas la répéter. En politique, l'œil rivé sur une cote de
popularité, cette démarche n'a pas cours. Einstein avait formulé
ce constat de manière lapidaire - «la folie, c'est se comporter de
la même manière et s'attendre à un résultat différent». S'il n'est
certes pas de grande utilité pour
produire des biens ou des services,
un brin de folie peut séduire
les foules.
L'ingénieur apprend à exploiter
le retour d'expérience. Il est sensible
à la nécessité de mettre en
œuvre contre des dysfonctionnements
des parades immédiates,
souvent éphémères et
porteuses d'effets nuisibles inévitables.
Mais, sans tarder, il examine
les causes profondes des
phénomènes indésirables ; il met
son énergie et son talent au service
de la recherche de solutions
durables et saines. L'ingénieur
se méfie des caricatures, il leur préfère la réalité. Il réfute la tromperie,
il lui préfère l'honnêteté. Il n'apprécie pas le double langage
et n'en fait pas son mode de communication.
En politique, comme dans les métiers du spectacle, il faut plaire
et séduire. Or la réalité et la vérité ne sont pas nécessairement
plaisantes et séduisantes. Concilier la raison avec l'émotion n'est
pas un exercice facile. Pour faire entendre la vérité, il faut parfois
hurler afin de couvrir le bruit de fond de la désinformation, du
mensonge et de l'imposture, sans chercher à courtiser les gens de
pouvoir. Par leur formation, les ingénieurs cherchent à promouvoir
et faire éclore les talents des membres de leurs équipes. Ils
ne cherchent pas à exploiter la naïveté populaire. Ils ont, de tout
temps, œuvré à l'élargissement des libertés par l'accès des masses
aux biens matériels libérateurs de contraintes et de misère. S'ils
hésitent à s'exprimer en public, les ingénieurs n'en ont pas moins
des idées et des opinions. Ils n'ont pas de complaisance pour la
fiction égarée, celle qui va jusqu'à l'aveuglement. Faute de voir
leur sens de l'éthique plus largement partagé, ils se résignent souvent
au silence, par crainte de heurter des convictions, fussentelles
critiquables. Exprimer des vérités ne va pas sans risque. Les
railleries sont cruelles, même si elles ne sont que l'arme des faibles
et des ignorants.
Arts&MétiersMAG
N° 442 / Février 2023
45
Pour l'ingénieur,
l'éthique n'est pas
soluble dans
le profit, elle est
intrinsèque à son
rôle de créateur.
Il n'accepte pas
le déni des faits.
Quand il commet
une erreur,
il cherche à la
corriger.
PHOTO E. ROUBERT / AMM
PHOTO DR
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