Arts&MétiersMag - N°443 - Mars/Avril 2023 - 50

CONFÉRENCES & DÉBATS BILLET D'HUMEUR
Monsieur lʼambassadeur,
je nʼai pas dit que ce jeune
homme mentait.
Jʼai dit que je suis incapable
de le croire. Ce nʼest pas
la même chose.
léités hégémoniques de l'agresseur, qu'on
avait déjà laissé faire en 2014 en Crimée...
UNE ÉLITE « PLEINE DE BRAVITUDE »
La liste est longue des dirigeants pris de « folie
» - selon nos critères, toujours - dont il ne
faudrait jamais croire un seul mot, quand dans
le même temps on ne croit pas des témoins
lanceurs d'alerte, qui passent pour des
Cassandre ou des illuminés. Il semblerait que,
cette fois-ci, face au drame ukrainien documenté
quotidiennement, nos démocraties aient
compris... mais jusqu'à la limite de résistance
de leurs propres opinions publiques, qui sont
forcément malléables et potentiellement sensibles
aux paroles de leurs intelligentsias, à
l'image de l'élite pleine de « bravitude » qui
s'interroge sur la réalité des blessés dans une
maternité bombardée - une opinion publique
plus sensible encore, et on peut le comprendre,
au prix de l'énergie et au risque de coupures
d'électricité pendant l'hiver...
La bêtise - surtout celle qui se nourrit du
champ des caméras - est omniprésente, particulièrement
à notre époque médiatique. Le
discernement, lui, est cruellement absent à tous
les étages, même chez ceux qui ont la possibilité
d'être raisonnablement bien informés. Car,
même en ce cas, la pirouette est disponible
pour des esprits limités et sous influence,
fussent-ils cultivés : « Fake » ! Complot ! Les
mêmes finiront un jour par se laisser convaincre
que la terre est plate, ou que l'on n'a jamais été
sur la Lune, mais qu'un « Big Brother » contrôle
nos esprits et nos vaccins depuis une base lunaire
enterrée... Au point que l'on peut se demander
à partir de quel degré d'horreur et
d'indécence l'homme, même éduqué, devient
capable de réaliser ses erreurs et comprend que
sa liberté a tout simplement un prix. La réalité
finira cependant toujours par le rattraper et,
alors, les « nous ne savions pas » honteux alterneront
avec les « je ne l'ai pas cru, c'est vrai,
mais on nous a menti » désemparés.
Donc, restons gnous, si l'on veut. Mais n'écoutons
jamais les scorpions si nous voulons traverser
dignement cette époque !
Jean-Baptiste Micewicz (Cl. 177)
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N° 443 / Mars-Avril 2023
LE BILLET DE MICHEL HARMANT
La poésie
dans l'anticipation
CH. 161
Le futur peut servir de refuge, lorsque le passé est oublié et lorsque
le présent paraît désespérant. Les auteurs inspirés par l'anticipation
ont tendance à écrire par avance l'histoire telle qu'ils la souhaitent
ou telle qu'ils ne voudraient pas qu'elle soit. C'est de l'uchronie
inverse. L'uchronie est une reconstruction virtuelle de l'histoire.
L'anticipation, parce qu'elle est toujours romancée, est une construction
fictive des faits et des événements à venir. Le genre a vu éclore
des talents, dont la renommée résiste à l'usure du temps et aux
caprices des modes. Albert Robida (1848-1926) est un auteur, aujourd'hui
presque oublié, qui se présentait comme « chroniqueur
de l'histoire passée et future sur trois siècles ». Comme beaucoup
d'écrivains d'ouvrages d'anticipation, il prenait dans le passé et le
présent ce qui l'intéressait, sous un angle favorable à ses idées.
Toutefois, ses intuitions étaient étonnamment précises. Dans
La Guerre au vingtième siècle, paru en 1887, Robida décrivit ainsi
avec une vision fort réaliste ce que seraient, quelques décennies
plus tard, la guerre aérienne et les armes aéroportées.
En prenant de la hauteur
par rapport à leur
époque, les auteurs explorent
le futur en proposant
une vision panoramique
dans laquelle
l'influence du passé
constitue un apport précieux,
mais pas toujours
dominant. La littérature
stimule l'imagination.
Un climat de crise fait
éclore les récits de
scènes où le fantastique
le dispute à l'irrationnel.
Pourtant, les visions les
Notre époque,
marquée par la
sacralisation du
profit, permettra-t-elle
de conserver à
l'imaginaire et au
merveilleux la part de
nos rêves sans laquelle
la créativité et le génie
des hommes seraient
voués au déclin ?
plus illogiques se concrétisent parfois dans la réalité. La civilisation
dont nous héritons s'est construite sur de la mythologie antique
autant que sur le simple récit de l'observation réelle. Cela explique
peut-être la fécondité de ses œuvres. Notre époque, marquée par
la sacralisation du profit, permettra-t-elle de conserver à l'imaginaire
et au merveilleux la part de nos rêves sans laquelle la créativité
et le génie des hommes seraient voués au déclin ? Le scepticisme et
la méfiance sont des attitudes compréhensibles dans un contexte
où la peur et l'angoisse collective sont largement distribuées. La
perspective de l'effondrement du vivant, par empoisonnement de
l'écosystème a de quoi effrayer les plus sereins. Il est étonnant de
constater le pouvoir contaminant de l'exhibition répétée de périls
variés, jamais avérés. La pratique de la réalité virtuelle et la maîtrise
de ses techniques devraient pourtant nous aguerrir et nous préparer
à davantage de discernement, à mieux séparer le mythe de la réalité.
La beauté d'une fable a deux visages. Sous le charme de la musicalité
de sa poésie, le récit fabuleux fait parler les animaux dans un
monde merveilleux, fruit de l'imagination de l'auteur. Sous l'autre
aspect, les allusions perceptibles au fil des vers ainsi que la morale
de la fable replacent les idées exposées dans le contexte des réalités
tangibles, souvent intemporelles. Sans peut-être l'avoir cherché, le
fabuliste a fait, lui aussi, œuvre d'anticipation en imaginant des
situations telles qu'il souhaiterait ou ne voudrait pas qu'elles soient.
La littérature tisse des liens entre la poésie et le génie.
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