Dauphinews - Le magazine de la #D-Family - N°1 - Octobre 2019 - 15

interview

Quel est le souvenir le plus
marquant que vous gardez de
vos études à Dauphine ?
Mon "admission", au double sens du
terme. J'étais admis dans l'un des
hauts lieux de la connaissance et
moi, l'étranger, j'étais accepté, "admis
à la table" par les autres étudiants et
les enseignants. Mon professeur
d'informatique, notamment, Marc
Sitbon, qui a développé le programme MIAGE à Dauphine, a cru
en mes capacités et m'a encouragé.
Cette considération était très
nouvelle pour moi et le contraste
avec ma vie hors les murs de
Dauphinews

l'université saisissant. À l'époque,
j'habitais une chambre de bonne
dans laquelle le lit et la commode
prenaient tout l'espace, au 9e étage
d'un bel immeuble de la rue Paul
Doumer. Je n'empruntais l'entrée
principale que pour régler mon loyer
à la propriétaire, le premier de
chaque mois. Mais j'étais heureux.
Dans cette chambre, j'étudiais...
L'université de Dauphine restera
à jamais pour moi un creuset de
savoirs, d'échanges, de populations
diverses, qui cherche avant tout à
faire grandir ses étudiants en
agrandissant leur esprit. Je suis
d'ailleurs donateur à la Fondation
Dauphine.

Un homme de plume...
Mohed Altrad est l'auteur d'essais sur
le management ainsi que de nombreux romans. Le premier d'entre
eux, Badawi*, publié pour la première
fois en 1994 aux Éditions L'Harmattan
(aujourd'hui disponible chez
Actes Sud/collection Babel), raconte
comment un homme passe de la
misère à la fortune, mais décrit
surtout la douleur d'être perdu
entre deux mondes.
* Bédouin

© Emma Laupa

À quoi a ressemblé votre
enfance ?
J'ai vu le jour dans une tribu
nomade, en Syrie. Aucun document
n'atteste ma date de naissance. Mon
père était chef de tribu et ma mère
très pauvre. Elle est morte quand
j'avais 4 ans. C'est ma grand-mère
maternelle qui m'a élevé. À ses yeux,
je ne pouvais que devenir berger.
Elle jugeait donc inutile que je sache
lire et écrire. J'ai appris seul, avec
l'intuition très forte que seul le
savoir me permettrait d'échapper à
un destin qui semblait tout tracé. Je
suis allé vivre avec un autre membre
de ma famille, près de Raqqa. J'ai
réussi mon baccalauréat et reçu une
bourse me permettant d'étudier en
France. Je suis arrivé à Montpellier
en 1969. Le choc culturel a été
violent, d'autant que je parlais très
mal le français à l'époque. Mais je
me suis accroché. J'ai obtenu une
licence en physique et mathématiques, puis j'ai intégré l'université de
Dauphine, dont je suis sorti docteur
en informatique en 1976.

Extrait :
"Tu es un Badawi. Comme ton père,
et le père de ton père, et tous ceux qui,
avant lui, ont traversé le désert.
Si tu n'écoutes pas ton histoire,
tu seras aussi léger qu'un nuage dans
le ciel, tu ne pourras jamais te poser,
aussi léger qu'une plume que le vent
emporte au loin."

Comment a débuté votre
carrière d'entrepreneur ?
J'ai d'abord été ingénieur en
informatique chez Alcatel, Thomson,
puis l'ADNOC, la compagnie
pétrolière nationale d'Abu Dhabi,
avant de créer ma propre société
d'informatique. Mais ma carrière
d'entrepreneur a véritablement
démarré en 1985, de nouveau de
manière très intuitive. Mefran, une
PME héraultaise spécialisée dans les
échafaudages, était en liquidation
judiciaire. J'ai tout de suite senti que
ce produit était "essentiel" à
l'économie. Dans tous les secteurs
où vous bâtissez : BTP, raffineries,
aéroports, etc., vous avez besoin
d'échafaudages.
Comment s'est déroulé le
rachat de cette entreprise ?
Dans la douleur. J'avais investi
toutes mes économies dans cette
aventure mais pas un banquier ne


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