Dauphinews - Le magazine de la #D-Family - N°3 - Octobre 2020 - 30

FOCUS

"Une illustration
DU GRAND DÉSORDRE
DU MONDE"

Économiste libéral, historien et spécialiste des marchés mondiaux
des matières premières, Philippe Chalmin est professeur d'histoire
économique à Dauphine. Il livre ici une analyse sans concession
sur la période que nous traversons et le supposé "monde d'après"
que d'aucuns la voient enfanter.

Philippe
Chalmin
Professeur
d'histoire
économique

Quelles réflexions vous inspire
cette crise sanitaire et
économique ?
Nombre de commentateurs de cette
crise y voient une forme d'apogée
des dérives, aberrations écologiques
et inégalités sociales engendrées
par le couple mondialisation/
libéralisme. Ils appellent de leurs
vœux un "monde d'après" radicalement différent, caractérisé même,
pour certains, par la décroissance et
la "frugalité heureuse". Un regard
sur le siècle écoulé nous apprend
que cette critique et cette quête
n'ont rien d'original.
La crise de 2020 s'inscrit comme
une rupture majeure de la marche
de l'économie, au même titre que la
crise de 1929 ou que celle des
années 1970. Les dernières décennies du XIXe siècle sont marquées
par une liberté à peu près totale de
circulation des hommes, des
marchandises et des capitaux à

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Numéro 03 // octobre 2020

travers la planète. Puis la crise de
1929 entraîne une rupture avec le
libéralisme. Le modèle d'économie
mixte va prévaloir lors des "trente
glorieuses" de l'après-Seconde
Guerre mondiale. Mais en réalité il
s'essouffle progressivement dès le
milieu des années 1960, les ÉtatsUnis n'ayant plus les moyens de le
soutenir. Les accords de Bretton
Woods, conclus pour protéger le
monde d'une crise comparable à
celle de l'entre-deux-guerres,
prennent fin en 1971. L'année
suivante, le rapport "Halte à la
croissance" établit déjà un lien entre
croissance économique, croissance
démographique et conséquences
écologiques, et le premier choc
pétrolier se produit en octobre 1973.
Venu d'outre-Manche, le libéralisme
va alors faire son grand retour sous
l'ère Thatcher, annonçant trente
nouvelles années glorieuses sur
fond de mondialisation heureuse, de
libre-échange, de dérégulations et
de privatisations. La croissance de
l'économie mondiale est de l'ordre
de 4 à 5 % par an. Les pays émergents, dont la Chine et l'Inde,
décollent et les inégalités intérieures

se creusent. Les crises "d'ajustement", asiatique en 1997, financière
en 2008, sont résolues par des
méthodes classiques. Puis arrive
le Covid.

/

CETTE CRISE EST LA TOUTE
PREMIÈRE À ÊTRE SUIVIE ET
COMMENTÉE EN DIRECT.
MAIS POUR LE RESTE, ELLE
NE ME SEMBLE PAS PRÉSENTER DE CARACTÉRISTIQUES
EXTRAORDINAIRES.

En quoi cette crise sanitaire et
économique est-elle différente
de celles du siècle dernier ?
C'est la toute première à être suivie
et commentée en direct. Mais pour
le reste, elle ne me semble pas
présenter de caractéristiques
"extraordinaires". Certes, elle porte
un sévère coup d'arrêt à la marche
de l'économie mondiale. Les
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