Annuaire 2021 - ASSOCIATION DES ALUMNI DE L’ENSAE - 16

NOTRE SÉLECTION
" POUR PARTICIPER À UN PROJET QU'ILS CONSIDÈRENT COMME MORALEMENT SOUHAITABLE,
BEAUCOUP DE SALARIÉS SONT PRÊTS À INVESTIR EN ACTIONS "
Publié par Marie BRIÈRE, ENSAE 1998 | 14/06/2021 | Le Monde
u moment où une reprise économique se profile, orienter une part plus importante
de l'épargne des Français vers le marché des actions est pour le gouvernement
un objectif politique majeur. Après des mois de confinement, l'épargne des Français
est en effet à des niveaux historiquement élevés alors que les entreprises ont un besoin
vital de fonds propres pour se relancer à l'issue de la crise sanitaire.
Mais les pouvoirs publics se heurtent à d'importantes réticences. Les Français ont
une faible appétence pour les actions. Ils n'y investissent ainsi, en moyenne, que
6 % de leur épargne, alors même qu'il est démontré que ces placements en actions
sont de loin les plus rentables sur le long terme, et tout particulièrement dans
une période comme celle que nous traversons, avec des taux d'intérêt très bas qui
rendent placements obligataires ou monétaires peu attractifs.
A
Creusement des inégalités
Les Français de milieu modeste sont particulièrement peu nombreux à investir en
actions. Peur du risque ? Manque de culture boursière ? Difficulté à mettre de
l'argent de côté sur le long terme ? En tout cas, le fait que l'épargne des gens
modestes, toutes choses égales par ailleurs, leur rapporte en moyenne beaucoup
moins qu'aux plus favorisés, est une des raisons fréquemment évoquées du
creusement des inégalités ces dernières décennies.
Nos recherches, " Responsible Investing and Stock Allocation " (Marie Brière et Stefano
Ramelli, 2021) pourraient contribuer à changer la donne. Nous avons, en effet,
montré que les choix de placement des particuliers n'étaient pas uniquement liés
aux causes habituellement mises en avant. Ces choix se transforment dès lors que
les individus ont la possibilité d'acheter des actions socialement responsables.
Précisément, nous avons étudié le comportement de 900 000 salariés, de tous
niveaux et métiers, appartenant à quelque 6 500 entreprises utilisant les services
d'Amundi Epargne salariale & retraite, auxquels on a donné l'opportunité d'investir
leur épargne salariale dans des fonds en actions, labellisés par un organisme fiable
(Finansol), comme des " fonds solidaires " . Ces fonds contribuent au financement
d'activités reconnues d'utilité sociale et/ou environnementale.
Et cette proposition a eu un impact considérable : la part de leur épargne placée
en actions a augmenté de moitié dans ce nouveau contexte !
Républicains et démocrates aux États-Unis
Penser que les personnes de milieux modestes n'achètent pas d'actions simplement
par manque de moyens, par nécessité de garder de l'argent liquide pour faire face
à un coup dur, est donc une explication insuffisante. Autrement, leur comportement
n'aurait pas ainsi évolué.
Les individus, en réalité, contrairement à la doxa économique traditionnelle, ne
choisissent pas des placements seulement en fonction de purs raisonnements
financiers. Ils agissent largement en fonction de leur environnement culturel, de
leurs valeurs personnelles, de leurs opinions politiques. Plusieurs recherches l'ont
confirmé, montrant par exemple aux Etats-Unis que les gérants de portefeuille
républicains et démocrates investissaient différemment.
Ces résultats de recherche présentent un intérêt tout particulier si l'on se place
dans une perspective européenne, au moment où Christine Lagarde, présidente de
la Banque Centrale Européenne appelle de ses vœux le développement d'un marché
paneuropéen des capitaux capable de soutenir la transition écologique.
Les banques américaines, au XIXe
siècle, explique-t-elle, n'ont pas été capables
de financer la construction des chemins de fer. Pour compléter les prêts, les
compagnies ont dû rassembler des fonds propres, et c'est ainsi que les Bourses
se sont développées, faisant appel à l'épargne de tous. De la même manière,
aujourd'hui, il s'agit pour Christine Lagarde, de mobiliser l'épargne des Européens
pour financer rapidement la transformation de notre économie en une économie
zéro carbone.
Les jeunes particulièrement
Montrer, comme nous l'avons fait, la forte appétence des particuliers pour les
placements " avec du sens " est à cet égard une bonne nouvelle. Pour participer à
un projet qui leur importe, qu'ils considèrent comme moralement souhaitable,
beaucoup de salariés sont prêts à investir en actions. Et les jeunes sont tout
particulièrement sensibles à ces arguments.
Il importe maintenant de transformer l'essai. L'offre de produits d'investissement
" solidaires " a été rendue obligatoire en 2004. Les syndicats ont fait un important
travail de communication. Et c'est pour cela qu'aujourd'hui, les salariés concernés
connaissent et s'intéressent à ces produits.
Nous en sommes aux prémices concernant l'offre aux particuliers de placements
" responsables " . Plus des deux tiers de leurs acheteurs sont pour l'instant des
professionnels de la finance. Une enquête menée par Vigeo (août 2020) a montré
que ces placements étaient mal connus du grand public.
Mais la situation devrait évoluer assez vite. À partir d'avril 2022, les conseillers
bancaires, dans toute l'Europe, seront tenus de demander à leurs clients si une
offre de placements " responsables " les intéresse. Pour autant que cette offre soit
crédible, gageons que la réponse sera souvent positive. Et que les placements en
actions augmenteront.
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