ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021 - 26

Dossier  ❙  Vivre dans un monde incertain

canadien du Nunavut), car le détroit de
Bellot était bloqué. En 2019, nous avons eu
un problème d'énergie sur le bateau. Nous
avions installé des panneaux solaires, mais
comme nous étions en permanence dans le
brouillard, nous n'arrivions pas à générer
d'énergie. Sans énergie sur le bâteau, on
ne peut pas lire les cartes électroniques,
faire fonctionner le GPS ou le pilote
automatique, c'est assez dangereux. Nous
avons dû nous arrêter à Pond Inlet.
Le passage du Nord-Ouest reste
une route incertaine et dangereuse,
quels sont les principaux défis
auxquels on est confronté quand
on entreprend cette traversée ?
Beaucoup de gens m'ont dit « tu dois avoir
trop froid ». Mais en fait pour pouvoir
naviguer, il faut entreprendre la traversée
l'été. Il fait entre -5 et 5 degrés, ça n'est
pas si froid. Le gros enjeu c'est qu'il y a
de la glace partout et qu'il faut être tout
le temps dehors pour éviter un iceberg.

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Quant aux conditions de mer, elles sont
plutôt calmes, même très calmes la plupart
du temps. Ce qui peut être dangereux, ce
sont les vents catabatiques dans les fjords.
Quand on passe dans un goulot étroit avec
des hautes montagnes, les vents peuvent
soudainement s'accélérer. Il y a parfois des
accélérations de vent énormes que l'on ne
peut pas l'anticiper. C'est encore très mal
vu par les prévisions.
Naviguer dans l'Arctique c'est
être confronté en permanence à
l'incertitude ?
C'est un univers incertain oui. Le symbole
de cela, c'est le brouillard. Il y en a beaucoup
et on a parfois du mal à distinguer le blanc
du brouillard et celui de la glace. Le radar
ne distingue pas les growlers qui sont des
icebergs de moins d'un mètre. Le problème
c'est que 80 % de leur surface est immergé,
c'est très dangereux pour le bateau. Autre
élément incertain, hormis les gros axes où
les bateaux passent, tels que le centre du

ESCP Alumni Magazine numéro 193  ❙  1er TRIMESTRE 2021

détroit de Lancaster, les cartographies sont
souvent datées, imprécises et même fausses
dans cette zone.
Comment fait-on pour gérer cette
incertitude ?
Dans ce genre d'expédition on est obligés
de composer avec l'incertitude. Notre plan
était de se préparer un maximum, faire tout
ce que l'on pouvait faire avant de partir
et se fixer des limites. Par exemple, tous
les jours nous recevions des cartes avec le
pourcentage de glace, nous avions décidé
de ne jamais naviguer à plus de trois
dixièmes de glace. Cela veut dire quand
30 % de la surface de la mer est recouverte
de glace. Nous avions plein de seuils du
même genre. Cela permet de se fixer des
limites à ne pas dépasser et  de limiter
la casse, quand on est fatigués, qu'on
réfléchit moins lucidement. Sachant que
cette incertitude est difficile à gérer il faut
la réduire au minimum.
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