ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021 - 42

Carrière ❙ Parcours singulier

Par Théo Denmat

Dumont émerveille
Après un début de carrière extrêmement prometteur, Antoine Dumont (13) a décidé de changer
de crémerie. Après dix ans de succès dans l'innovation de modèles économiques, il a fait ses
bagages, vendu sa maison, est parti en Afrique et en est revenu fromager. Sacrée fermentation.

Antoine Dumont (EMMD 13)
Fondateur Fromagerie de la Trappe

ans la vie, Antoine Dumont a
un problème. Lorsque, penché
au-dessus d'une meule de comté,
les clients de sa fromagerie engagent la
conversation au-delà du pré-carré laitier
et lui demandent de raconter ce qu'il faisait
dans sa vie d'avant, il n'aurait pas assez de
douze mois d'affinage pour faire le tour de
la question. Il faut dire qu'Antoine a déjà
eu de multiples vies. Du télémarketing au
consulting en passant par l'accélération de
start-up et même les services de renseignement. Alors la plupart du temps, pour
condenser une histoire qui compte autant
de trous que le gruyère qu'il vend dans
sa Fromagerie de la Trappe, le trentenaire
résume l'histoire ainsi : « J'ai travaillé dix
ans dans le Business model innovation et puis
un jour, j'ai ressenti le besoin de retrouver
des grands espaces de nature et de vivre des
moments de déconnexion complète. Alors on
est partis avec toute la famille dans un tour de
l'Afrique pendant 18 mois. C'était le moment
de changer de vie ! » Sa vie justement, se love
désormais au cœur des murs en pierre froide
de l'Abbaye d'Echourgnac, dans le Périgord,
entouré de bonnes sœurs et d'employés qui
ont toute la journée pour écouter ses récits
de voyage.

❙

Le premier d'entre eux était court : MelunParis. À 18 ans, après une enfance modeste
auprès d'une mère au foyer et d'un père
officiant dans le milieu bancaire, le gamin
remonte l'A6 sans bac en poche mais des
certitudes plein la valise. Puisqu'à l'âge de
dix ans, il montait déjà des business plans
avec des copains, il entrera en école de
commerce. « J'ai toujours été très attiré par les
métiers de la gestion d'entreprises et la gestion
de projets ambitieux. J'aimais le côté rencontre »,
dit-il. Il passe son bac en candidat libre,
enquille 120 appels/jours dans un call center
puis, en parallèle de ses études supérieures,
suit une formation d'officier en réserve en
gendarmerie, en mémoire du glorieux passé
d'un grand-père général. Conséquence ?
A l'obtention de son diplôme à 23 ans, le
cancre d'hier gère des " petites missions
d'escortes et d'interventions très light "
pour les services de renseignement français,
tout en s'occupant des fusion-acquisitions
pour le compte d'une grande entreprise.
Puis c'est l'heure du second voyage : en
2008, son embauche comme n°2 d'un
groupe informatique entraîne son départ
à Nantes en compagnie de celle qu'il vient
d'épouser. Là-bas, elle attend un enfant.
Une petite fille. Le bébé décédera peu de
temps après sa naissance. « J'avais décidé de
quitter ma boîte pour que l'on soit ensemble
24h/24, disponibles l'un pour l'autre et vivre
cette grossesse à deux, explique-t-il. C'était une
première expérience de lâcher-prise. C'est là où
j'ai basculé dans l'entreprenariat. »
Au Cap en 4x4
Au tournant des années 2010, celui qui se
faisait souvent raccrocher au nez quelques
années plus tôt devient celui qu'il faut
avoir au bout du fil : alors directeur
associé de la société Birming Group et du

ESCP Alumni Magazine numéro 193 ❙ 1er TRIMESTRE 2021

cabinet Elton-Pickford, il se pose comme
l'un des pionniers français en terme
d'innovations de modèles économiques,
important des approches aujourd'hui
standardisées. Ces deux expériences
serviront de canevas à sa plus belle toile,
Startup Palace, créée en 2015, et qui va
devenir le premier accélérateur de startups
en France. Au total, plus de 500 passeront
entre les mains de sa trentaine d'employés,
conglobés dans 5000m2 de bureaux à
Nantes. « On était vraiment sous le feu des
projecteurs. Le lundi j'étais à la direction
d'EDF, le vendredi avec Frédéric Mazzella de
Blablacar, entre-temps aux bureaux de la BNP
Paribas, de Ouest-France... C'était génial mais
un engagement de toutes les heures. La vie
personnelle et familiale s'efface progressivement.
Alors parfois, on allait se caler en haut d'une
montagne avec ma femme et nos trois enfants,
sans réseau, à faire à manger au feu de bois.
C'était en décalage totale avec l'hypercroissance,
la data, le côté bullshit et paillettes. On revenait
aux choses fondamentales. Et tout doucement on
s'est dit : " est-ce qu'il ne serait pas le temps
de faire un break ? " »
La famille décide de vendre maison,
entreprise et biens en septembre 2018 pour
rejoindre Cape Town en 4-4. En un an
et demi de voyage sur les routes africaines,
la famille avale davantage de litres de
sable que de kilomètres de goudron, se
confrontant à l'absence d'eau potable, aux
douaniers tatillons, aux hyènes ou à une
casse moteur de sept semaines au coeur du
désert namibien. Nirvana : les gens n'ont pas
de montres. « Quand on arrive du monde du
digital, de l'immédiateté permanente, du multi
tasking et des notifications Twitter ou Slack, ça
résonne, pose Antoine. On apprend qu'on peut
vivre plus simplement. On fait l'expérience de

ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021

Table des matières de la publication ESCP ALUMNI magazine - #193 - 1er trimestre 2021