ESCP ALUMNI magazine - #198 - Mai 2022 - 19

Dossier ❙ Le secret des Licornes
Le secret, c'est de s'adresser à un gros
marché, d'identifier un gros problème mal
résolu et trouver une solution qui est bien
meilleure que toutes celles déjà existantes.
peut motiver des fonds d'investissement
à financer ces entreprises ? S'il n'existe
aucun mode d'emploi, on observe tout de
même certains pré-requis essentiels. « La
grille de lecture est à peu près toujours la
même, entame Geoffroy Rosset (06), VC chez
Auriga Partners : « On cherche avant tout des
startups disposant d'un produit différenciant
sur un marché adressable ayant suffisamment
de profondeur. On va scruter un certain nombre
de métriques clé comme la scalabilité, la
récurrence et la stickiness potentielle des clients.
In fine cependant, on investit sur les hommes
et sur la capacité des fondateurs à construire
et exécuter sur la base d'une vision. Si l'équipe
a déjà réussi une aventure entrepreneuriale
auparavant, ça va mettre en confiance et donner
envie de suivre ». Caroline Lebel abonde
dans ce sens. « Chez Bpifrance, on analyse
classiquement le panorama concurrentiel, le
marché, la croissance, on va se demander s'il
y a les bons indicateurs clé de performance
(ICP). On évalue l'innovation, technologique ou
d'usage. On constate par exemple que plusieurs
licornes ont digitalisé des secteurs qui l'étaient
peu. On regarde également ce qu'ont fait les
fondateurs avant, cela apporte du confort
aux investisseurs qui peuvent investir des
montants plus significatifs plus tôt». Fondateur
d'Ankorstore, Nicolas d'Audiffret pense lui
savoir que « le secret, c'est de s'adresser à un
gros marché, d'identifier un gros problème
mal résolu et trouver une solution qui est bien
meilleure que toutes celles déjà existantes...
Et de la développer avec une superbe équipe. »
L'équipe, le produit, le service, le marché,
la concurrence, la scalabilité, mais aussi « le
potentiel d'internationalisation » souligne
une alumna qui travaille dans un fond
d'investissement : « on va plutôt investir sur
des boites avec un vrai asset technologique, et
qui ont le potentiel pour conquérir d'autres
marchés que le marché français ». Evidemment,
au beau milieu de ces quelques certitudes
demeure une part d'intangible et de facteurs
exogènes. Parfois c'est une décision politique
qui va booster un marché en particulier
et parfois ce sont les utilisateurs qui vont
s'emparer d'un sujet. : « c'est ce qu'on appelle
le " Network effect " , souligne Geoffroy
Rosset. « Facebook ou Amazon, par exemple,
n'ont pas gagné d'argent au début mais ont
eu rapidement beaucoup de clients, il y a eu
une croissance exponentielle de leur nombre
d'utilisateurs. Avec, de la part de ces sociétés,
une stratégie de conquête de parts de marché
qui se fait au détriment de la rentabilité à court
terme ». Même si elle ne gagne pas d'argent,
les investisseurs ont alors tendance à se dire
que l'entreprise est en train de conquérir
un marché, et qu'il vaudrait mieux ne pas
laisser le train passer.
Bâtir un story-telling convaincant
Convaincre se fait aussi par le discours
que l'on va tenir et le message que l'on va
envoyer aux potentiels business angels, aux
futurs clients et aux équipes. En effet à la
genèse du projet, un entrepreneur n'a pas
grand-chose à vendre hormis sa propre
conviction et sa force de persuasion. Dès
lors, mieux vaut être un bon story-teller.
« Evidemment que le discours que l'on tient
est important, complète Jean-Luc Robert.
Certains prospects qui sont early stage vont vous
faire confiance très tôt, donc le discours doit être
rodé et convaincant. Il y a une grande partie de
travail, bien entendu, mais aussi une partie de
chance. » Et la chance, ce n'est pas un secret,
ça se provoque. Pour nos éleveurs de licorne,
il a parfois fallu prendre le pari de traverser
l'Océan pour faire passer un nouveau cap à
leur boîte. Cela a en tout cas été le cas pour
Jonathan Anguelov et Jean-Luc Robert. « Je
suis parti aux Etats-Unis en 2012, à la dure,
raconte Jean-Luc Robert. C'est difficile pour
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une boite française de débarquer aux USA, il y
avait peu d'exemples. Mais si on veut être dans
le monde du software, il faut être aux EtatsUnis.
Soit vous êtes numéro 1 aux Etats-Unis,
soit vous n'existez pas... ou du moins vous
existez moins ». La prise de risque a porté
ses fruits, puisque Kyriba est aujourd'hui
leader des solutions de gestion des liquidités
dans le Cloud. Pour Jonathan Anguelov, le
départ aux Etats-Unis en 2016, alors que la
boîte avait 2 ans, était « un passage obligé, qui
avait du sens. On avait déjà pas mal de clients
aux USA, et on s'est dit qu'il fallait être sur
place, pour que ça s'accélère ». Là encore, un
succès : Aircall réalise aujourd'hui 33 % de
son chiffre d'affaire global aux Etats-Unis.
La croissance avant la rentabilité
Dans la majeure partie des cas, les licornes
basent leur modèle économique sur une
croissance rapide, financée par des fonds
extérieurs. Or, cette ultra-croissance se fait
souvent aux dépens de la rentabilité : les
licornes consacrent d'énormes ressources
à la conquête de parts sur de nouveaux
marchés, et affichent donc une croissance
accélérée du chiffre d'affaires... mais pas
de bénéfice. « Comme ce sont des sociétés en
très forte croissance, elles ont besoin de liquidité
pour suivre ce développement, explique
Caroline Lebel. Elles doivent être agiles et
rapides pour répondre aux attentes. Et comme
la start-up brûle du cash, elle va régulièrement
revenir solliciter les investisseurs. » C'est
notamment le cas d'Aircall. Fondée en
2014, la start-up a mis moins de sept ans
avant d'être valorisée à plus d'un milliard de
dollars. Une croissance extrêmement rapide
qui, forcément, a nécessité des moyens à
la hauteur. « Le marché est très concurrentiel,
donc il faut pouvoir prendre les meilleurs talents
et pour ça, il faut avoir du cash, expliquet-il.
On ne s'en cache pas : l'entreprise croît
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