REFLETS MAGAZINE - Revue d'information et de réflexion économique - n°100 - 34

Spécial
#100
Avant/Après
Voyage

Chacun sa Route de la soie
En 2000, Reflets s’entretient avec Philippe Valéry, qui vient de parcourir la Route de la soie
à pied. En 2008, Thibaud Coudriou et Thibaut Dejean de la Bâtie lui emboîtent le pas, à vélo et en roller.
Une même voie, trois voix différentes : rencontre entre routards bien en jambes.

Reflets Magazine : Pourquoi avoir opté pour
la voie pédestre ?
T. Coudriou : C’est un défi sportif parmi
d’autres. Je parcours 12 000 kilomètres par an
à vélo. J’ai participé à plus de 30 courses
en 2012. J’ai aussi roulé sur les routes d’une
trentaine de pays, où je ciblais la côte insurmontable, la pointe de vitesse. Je recherche la
difficulté et l’épuisement.
T. Dejean de la Bâtie : J’étais de même attiré
par le défi sportif. Je faisais du patinage de
vitesse depuis cinq ans lorsque j’ai fait mon
premier voyage à roller. Puis mon périple à
travers l’Iran en 2009 a changé ma perspective. C’était peut-être ma dernière chance de
découvrir ce pays en pleine crise politique. Le
roller ne servait plus une logique de performance : le but devenait de prendre le temps de
m’immerger dans la culture locale.
P. Valéry : De même, la marche permet de
quitter les grands centres urbains uniformisés
par la mondialisation pour aller à la rencontre
des habitants des zones reculées.
RM : Comment faisiez-vous ces rencontres ?
P. Valéry : Le moyen de locomotion crée un
sujet de conversation. Beaucoup ne comprenaient pas mes motivations, mais m’invitaient à dormir chez eux. J’ai sillonné de
nombreux pays musulmans, or le Coran fait
largement mention de l’aide au voyageur et
de l’accueil de l’étranger. En Turquie, sur un
seul kilomètre, on m’a invité quatre fois à
prendre le thé…
T. Dejean de la Bâtie : En Iran, je n’ai pas su
gérer l’étonnante générosité de mes premiers
hôtes. Je leur ai même proposé de l’argent, les
déshonorant.
T. Coudriou : La relation se limite trop souvent

à un échange basique. J’adore les
nuits à la belle étoile, seul face à la
nature. Je pars pour vivre un moment
de liberté absolue. Lorsque j’ai rallié la
Patagonie depuis l’Équateur, je me suis
heurté à des difficultés imprévues. J’ai
puisé une force nouvelle dans l’isolement et l’introspection. J’ai éprouvé
quelque chose de l’ordre de la révélation
spirituelle.
RM : Est-il vraiment possible de se couper de tout ?
P. Valéry : En 1998, je n’avais ni téléphone
portable ni accès à Internet. Aujourd’hui, la
couverture réseau s’est généralisée, nous
habituant à communiquer en permanence.
Cela a ses avantages. Les outils comme
Google Maps ont remplacé les cartes approximatives, avec des distances fausses, des villages fantômes…
Il ne m’arriverait plus ce que j’ai vécu en
Afghanistan : abandonné par des Kirghizes
qui ont emporté mon sac à dos, j’ai erré dans un
no man’s land avant de gagner la frontière du
Pakistan.
RM : Quels sont les risques auxquels vous
avez été exposés ?
P. Valéry : J’ai été arrêté quatre fois, dont une
par la police religieuse en Iran, et j’ai croisé
des loups dans la montagne en Serbie. J’ai
aussi dû passer la frontière entre le Tadjikistan
et l’Afghanistan en hélicoptère militaire avec
les hommes du général Massoud…
T. Coudriou : Thibaut et moi parcourions les
vallées du Kohistan (Pakistan) en bus lorsque
nous avons assisté à un accident. Les passagers ont extrait de la carcasse le cadavre du

chauffeur, les yeux toujours ouverts, et ont
récité une prière sous les étoiles. Cinq minutes
plus tard, tout le monde dormait ou plaisantait
à bord. Ils sont plus habitués que nous aux
morts sur la route.
T. Dejean de la Bâtie : Ce trajet de 600 kilomètres via les gorges de l’Indus nous a menés
dans une région réputée dangereuse pour les
étrangers. Nous sommes même passés près
de la maison où, plus tard, Ben Laden a été
abattu !
P. Valéry : Sans oublier les risques qu’on prend
avec sa santé, dans des zones avec peu d’accès aux soins. J’ai interrompu mon voyage
deux mois pour traiter une hernie inguinale.
T. Dejean de la Bâtie : À Tashkurgan (Chine), j’ai
été victime de contractions musculaires
incontrôlées, au point de lancer ma fourchette

N° 100 - JUILLET/AOÛT 2013

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