Centraliens - N°633 - La revue des Arts et Manufactures - Mai 2014 - 42

Dossier

Croissance verte
et financement

de la transition énergétique
Passage obligé des années à venir, la transition énergétique nécessite des mesures politiques fortes.
Plusieurs économistes se sont penchés sur la question et ont déterminé les modalités possibles,
comme la taxe incitative.

arler d'une économie verte suppose
d'abord, lorsque l'on aura franchi
un certain cap, que cette économie
s'auto-entretiendra : la mauvaise
habitude d'aller « au plus simple » et d'utiliser l'environnement sera découragée par
l'existence de substituts renouvelables moins
onéreux, de types éolien ou solaire pour ne
citer que le secteur de l'énergie. L'existence
d'un substitut n'est donc pas suffisante : son
coût de production doit lui-même être assez
faible pour inciter les agents à basculer de la
ressource non renouvelable, de type fossile, au
substitut renouvelable. On doit à William D.
Nordhaus, en 1973, la démonstration de cette
première condition dans l'article « The Allocation of Energy Resources ».
Dans une économie verte, ensuite, la technologie nous affranchira de la contrainte naturelle puisque nous prendrons rationnellement
l'habitude de préserver ce capital naturel,
et non plus de produire en l'épuisant. Cette
notion fait sens : nous pouvons bien imaginer un monde où les infrastructures seront
plus vertes qu'aujourd'hui, ce qui incitera, par
complémentarité, le secteur privé à adopter
des procédés verts de production.
Cependant, les économistes Daron Acemoğlu,
Philippe Aghion, Leonardo Bursztyn et David
Hemous, dans un article récent paru dans
l'American Economic Review (2 012), mettent
en garde contre une vision trop candide en affirmant que la croissance verte pourrait ne pas
réussir à s'auto-entretenir si les inputs propres
(solaire et éolien) et sales (énergies fossiles
émettrices de particules et de CO2) ne sont que
faiblement substituables. C'est la deuxième
condition nécessaire à la croissance verte.

Quelle(s) politique(s)
pour la croissance verte ?
Le rapport de l'Organisation de coopération
et de développement économique (OCDE),
intitulé « Towards Green Growth » (2 011),

résume la doctrine actuelle en matière de
croissance verte. Sont préconisées des politiques orientées vers la demande de produits
verts, des politiques d'offres facilitant l'émergence de firmes vertes (notamment par des
incitations adressées au secteur financier pour
faciliter l'investissement en nouvelles technologies vertes), ainsi que des politiques favorisant l'innovation.
Du côté de la recherche académique, on considère que la fiscalité est au cœur des mécanismes favorables à la croissance verte. Il est
en fait équivalent de traiter le problème de la
croissance verte du point de vue du capital
naturel limité et sale (les énergies fossiles non
renouvelables) comme des externalités négatives (les émissions de CO2 à l'origine d'un réchauffement climatique global). Dans l'article
intitulé « Pollution Control and the Ramsey
Problem », paru dans la revue Environmental and Resource Economics (1 991), Rick Van
der Ploeg et Cees Withagen montrent grâce
à un modèle de croissance avec pollution
qu'en l'absence d'intervention publique, les
agents n'internalisent pas, ne prennent pas
en compte l'effet de la production sur le stock
de pollution. Ce comportement conduit à
un équilibre qualifié de « sous-optimal » et la
solution préconisée est la taxe incitative. Geoffrey Heal, dans toute une série d'articles, est
l'économiste de référence sur ces modèles de
croissance durable ou verte.
Aujourd'hui, toutes les économies industrialisées sont traversées par des débats sur la taxe
incitative, lesquels sont souvent assez houleux.
L'écotaxe poids lourds en France, ajournée à la
suite de manifestations monstres, est un bon
exemple. Le problème de la croissance verte
est clairement la transition. Le temps d'adapter l'économie au nouveau régime, de forts
coûts et de fortes restrictions sont en principe
toujours à envisager. Le problème du financement de la transition écologique est de tenter
de minimiser ces coûts de court et moyen

terme (alors que les avantages au niveau collectif seront positifs à long terme). Dit autrement, la taxe carbone, pourtant indispensable
pour rapprocher les prix des énergies fossiles
vers ceux des renouvelables, vient alourdir le
coût de la transition... sauf à prévoir ex ante
sa réaffectation, comme nous le verrons plus
loin.

Mettre en œuvre la taxe
environnementale incitative
Le projet de taxe carbone a été voté en France
en 2009 puis abandonné en 2010 pour cause
d'inconstitutionnalité aux motifs d'iniquité
et de difficultés à retranscrire cette fiscalité en
droit français. Elle s'élevait pourtant à seulement 17 euros par tonne de CO2 émise, contre
70 euros environ actuellement en Finlande et
110 euros en Suède. Dans les deux pays scandinaves, on considère que ces montants ne
pénalisent ni la croissance ni la compétitivité.
C'est même un outil devenu indiscutable qui
permet de réduire les émissions de CO2.
La mise en œuvre de la taxe carbone à la scandinave s'est faite dans le cadre d'une grande
réforme fiscale. Son coût final est nul, grâce
à la réaffectation de la taxe sous la forme de
réduction des cotisations patronales. Notons
tout de même qu'aujourd'hui les entreprises
suédoises sont exonérées mais devront payer
60 % du montant de la taxe en 2015.
La Suède a par ailleurs instauré dès 1992 une
autre taxe incitative sur les oxydes d'azote
(NOx) pour les producteurs d'énergie, à hauteur de 40 couronnes par kilogramme de NOx
émis (environ 4,50 euros). Les bénéfices de la
taxe sont intégralement reversés aux producteurs en fonction de leur ratio énergie produite/NOx rejetés. Le mécanisme handicape
donc les industriels les plus polluants et avantage les industriels les moins polluants : les
entreprises plus propres que la moyenne enregistrant in fine un profit. Résultat : les installations de combustion ont adopté ou développé
Centraliens no633 [mai 201
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