Arts Magazine – Feuilleter le magazine – Fleurus Presse - (Page 28)
PAGE 28 ¬ ARTS MAGAZINE ¬ MArs 2012
chronique
François Quintin
Chaque mois, cette chronique de François Quintin donne l’occasion de partager avec un professionnel le moment fragile et intense d’une visite d’atelier, et de mieux percevoir le travail de jeunes artistes.
une forte odeur de bois scié nous accueille dès l’entrée de l’atelier de Jennifer Caubet. Les outils de menuisier sont remisés dans les coins d’une salle aux contours biscornus, au cœur d’une HLM façon village gris d’Aubervilliers. Des œuvres sont installées dont certaines sont seulement des études, « comme on fait ses gammes », dit l’artiste. Dès l’entrée, Plugging Rhizome, 2010, une aiguille en béton de cinq mètres de haut, semble aimanter le vide au milieu duquel elle se dresse. Maintenue avec une délicate élégance par des manchons de bois et tenue en biais par de fines élingues, l’œuvre défie les contraintes architectoniques du matériau pour l’amener vers un geste sculptural pur dont la grâce verticale n’est pas sans évoquer l’Oiseau dans l’espace de Brancusi. Ses créations sont comme des jeux sérieux de bâtisseur dans lesquels le sens de la structure, de la précision du dessin, des matériaux, de leur résistance et de leur principe d’assemblage sont investis pour construire des stratégies d’appropriation de l’espace, de mises en tension, de champs de forces, et de rapports de pouvoir. Un peu plus loin, un kit complet de tubes carrés d’aluminium. Ceux-ci sont disposés en ordre sur une palette, selon leur dimension, le degré d’ouverture de leur coude ou l’inclinaison de leurs piètements. Le titre de cette œuvre, E.A.T (Espace d’Autonomie temporaire), 2009, est un emprunt aux fameux TAZ de l’écrivain politique et anarchiste Hakim Bey, ces zones d’autonomies temporaires, campements nomades idéologiques dont l’énoncé a influencé tous les mouvements altermondialistes de la dernière décennie. L’installation E.A.T. de Jennifer Caubet est un système emboîtable et démontable qui
s’adapte à tous les lieux pour les traverser, les redessiner, les requalifier. Les espaces entre les murs ainsi subdivisés par ces étais contextuels dont la force permet seulement leur maintien constituent une sorte de société temporaire de vides. Cette pièce, et d’autres, teintent la recherche de Jennifer Caubet d’une tonalité d’esprit proche des grands architectes de papier, l’Architecture Radicale, Superstudio ou Archigram. Au contraire de ces derniers, la force immatérielle des utopies trouve chez la jeune artiste un développement concret, en dur. Le souci du détail, la justesse de la structure, la vérification empirique des principes peuvent parfois faire penser à l’obstination vaine et belle d’un Panamarenko faisant « marcher » ses archéoptéryx mécaniques, ou mettant à l’eau des sous-marins plus qu’improbables. Ainsi, Jennifer Caubet développe un projet de maison volante inspiré par les cerfs-volants qu’elle a découverts au Japon, dont la beauté fait oublier souvent leur fonction originelle d’étendards, pour signaler un territoire. La maison de Jennifer Caubet serait constituée de plusieurs cerfs-volants qui, assemblés en une charpente aussi légère que complexe, permettrait d’abriter 70 m2 d’habitat dans les airs. Dans une série antérieure de dessins, l’artiste n’a-t-elle pas planifié l’envol de l’île d’Utopia de Thomas More dans une montgolfière prodigieuse dont elle a calculé précisément la surface habitable ou la quantité d’hydrogène. Jennifer Caubet amorce une œuvre exigeante qui ne se satisfait jamais de son seul énoncé. La forte présence architecturée, précise et tendue de ses installations ne contredit pas l’élégance d’un geste sculptural tout à la fois subtil et sensible.
Visite d’atelier
utopiste de précision
Mathieu Zazzo/Pasco photo
Jennifer Caubet,
Table des matières de la publication Arts Magazine – Feuilleter le magazine – Fleurus Presse
Couverture
Sommaire
ACTUALITÉ
Le « mort-vivant »
Visite d’atelier
Collusion
Carte Blanche
DOSSIER JEUNES ARTISTES
À l’école / Presque artistes, déjà combattants
Les premiers pas / Pour faire le grand sauf, objectif réseau
Vers la consécration / Le galeriste, monsieur coup de pouce
« Aujourd’hui, le talent ne suffit plus »
MAGAZINE
Picasso intime
David Hockney, l’oeil à facettes
Artemisia, l’affranchie
Grenoble, la pionnière
Tim Burton, complètement crayonné
Voyage dans la Vienne de Klimt
Le coin des enfants
AGENDA
Paris/Île-de-France
Nord
Ouest
Est
Sud-Est
Sud-Ouest
Relecture, par Jochen Gerner
Arts Magazine – Feuilleter le magazine – Fleurus Presse
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