NEOMA Alumni Mag - N°24 - Septembre 2020 - 32

MAGAZINE
❱❱❱ Dodote. Tout le monde travaille dans son coin en

essayant d'avoir une boule de cristal magique. » « Il
y a deux types de départements de recherche et
développement : ceux qui restent secrets et ceux
qui sont plus dans une mentalité open source,
indique Henri-François Martin. Lorsque je travaillais chez Veepee, j'avais beaucoup d'échanges
avec le directeur innovation de Cdiscount, avec
qui je m'entendais très bien. Nous savions tous
les deux que nous empruntions les mêmes
chemins et nous avons toujours travaillé en bonne
intelligence. »

Pauline Barnier
(PGE 16)

La récente crise du Covid-19 a en tout cas montré
que la R&D en France et dans de nombreux autres
pays possèdent une large marge d'amélioration.
« La France a une très bonne culture d'ingénieurs
et un vrai savoir-faire dans de nombreux secteurs,
indique Stéphane Roques. Mais souvent, on ne sait
pas bloquer le développement d'un projet à temps.
Les ingénieurs attachés à leur produit se disent
toujours que ça va finir par fonctionner. La France,
du Minitel au Concorde, regorge d'exemples
comme cela. Une bonne R&D peut être une R&D
qui s'est s'arrêtée à temps. On doit pouvoir tuer la
R&D sur un produit A pour laisser de la place à la
R&D sur le produit B. Jeff Bezos, le patron d'Amazon, dit cette phrase que j'aime bien : "Échouer oui,
mais échouer vite." Dans le domaine de la santé,
c'est encore plus vrai. Le coût de la santé est exponentielle : plus on se rapproche du marché et plus
le coût est élevé. Il faut tuer les produits très tôt.
Cela demande du courage. » D'où l'importance
pour les alumni interrogés dans cet article d'avoir
dans les secteurs R&D des gens issus d'école de
commerce. « Il faut pour cela avoir des créatifs très
différents qui travaillent ensemble : un ingénieur,
un sociologue, etc. », préconise Stéphane Roques.
« Si on reste sous-doté en salariés ou en ressources, il est également possible de faire développer sa R&D en externe, ou dans des modèles

FOCUS SUR LE MÉTIER D'ACHETEUSE EN R&D
Pauline Barnier est acheteuse projet chez Servier, le premier laboratoire
indépendant en France (4,6 milliards d'euros). « Mon métier est d'accompagner la R&D pour développer de nouveaux médicaments, explique-t-elle.
Je suis depuis quatre ans au sein de l'entreprise et depuis un an, je travaille
sur les combinaisons de médicaments. Cela consiste à créer un seul
médicament avec plusieurs molécules déjà présentes sur le marché afin
d'améliorer l'observance du patient pour qu'il ne prenne qu'un seul
médicament une fois par jour au lieu d'en prendre plusieurs, plusieurs fois
par jour. Ce sont des projets plutôt courts avec des time to market de
quatre à cinq ans, en contraste avec les nouvelles entités moléculaires
issues de la recherche pure où la R&D dure une dizaine d'années. Ainsi, il y
a des études cliniques qui ne sont toujours pas terminées depuis ma prise
de poste. Je travaille sur des impératifs de temps très importants, car six
mois de retard sur l'autorisation de la mise sur le marché équivaut à six
mois de perte de chiffre d'affaires. »

- 32 - NEOMA ALUMNI mag SEPTEMBRE 2020

604 700
personnes travaillent dans le
secteur de la recherche en France,
soit 428 600 équivalents temps
plein (E.T.P.)*

277 631
chercheurs dont 25 %
de chercheuses femmes*

*Chiffres 2018, Ministère de l'Enseignement
supérieur, de la Recherche
et de l'Innovation.

mixtes telles que les Founders Factory, qui permettent d'accélérer le développement des start-up
sur ce point. » Les entreprises de taille plus importante auront, elles, à cœur de développer en leur
sein des mécaniques de veille. « Dans mon métier
d'acheteuse, il est très important de faire une veille
régulière de marché et d'avoir un esprit très ouvert
quant aux futures innovations », confirme Pauline
Barnier. Car c'est bien là tout l'enjeu de la recherche
et du développement : pouvoir couvrir les besoins
qui sont aujourd'hui en manquement, mais aussi
pouvoir anticiper les besoins de demain. En réalité,
indique Stéphane Roques : « L'enjeu de la R&D est
bel et bien une meilleure compréhension du business. Quels sont les business mal couverts actuellement ? Quels sont les besoins de demain ?
Comment mieux répondre aux besoins avant ses
concurrents ? Dans le domaine de la santé, par
exemple, le premier a un temps d'avance considérable sur tous les autres. C'est le premier arrivé
qui définit le prix : les concurrents doivent démontrer, pour une autorisation de mise sur le marché,
que le produit est au moins aussi efficace que le
précédent (sinon, il ne sera pas remboursé par la
Sécurité sociale). » « L'innovation de demain passe
par une anticipation de la R&D avec une meilleure
organisation de l'entreprise : créer des espacetemps favorables à la création », souligne Élisabeth
Durieux. « Définir une gouvernance et une road
map de quatre ou cinq ans permet d'avoir des
idées claires et de pouvoir avancer plus sereinement », indique Pauline Barnier. « Le plus important,
c'est le point de départ. Une fois que le produit est
lancé et que la montée en gamme est effectuée,
c'est trop tard. L'aspect le plus fondamental, c'est
le First Time Right, le coût du ticket d'entrée. D'où
l'importance extrême d'une bonne maîtrise des
coûts au départ », détaille Jean-Noël Dodote. « Il
faut vraiment que les mentalités évoluent au sein
de la société et de l'entreprise. À force de vivre des
crises, on va peut-être finir par comprendre tout
l'in¬térêt de la R&D, conclut Élisabeth Durieux.
Notre société bascule vers un développement
durable à tous les niveaux. La R&D doit avoir un
rôle essentiel à jouer. » ❚
Quentin Fuseau

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