NEOMA Alumni Mag - N°33 - Décembre 2022 - 28

PROFILS - ENTRETIEN -
« Mon premier solitaire, Chance of
Love, a été un succès, suivi par
d'autres. Le petit bijou est une
déclaration de liberté, aux
antipodes du trophée qui renvoie à
une forme d'assujettissement. »
❱❱❱
Paradoxe : vous êtes marxiste à dix-huit ans,
professeur à HEC à vingt-cinq !
Je ne vois pas d'antinomie fondamentale entre ce
que je pensais à seize ans, ce que j'ai enseigné un
peu plus tard et que j'ai pratiqué ensuite. Le profit
est par nature légitime, puisqu'il est la résultante
du déploiement du travail. Ce qui peut être plus
contestable - même si ma pensée a évolué sur ce
point - c'est sa répartition. Chez Mauboussin,
l'échelle est environ de 1 à 10 entre le salaire le
moins élevé et le plus élevé. Et c'est déjà énorme !
Quand je suis sorti de NEOMA en 1976, je gagnais,
selon mes critères, bien ma vie. Je n'envisageais
pas une minute que je toucherais considérablement
plus vingt-cinq ans après. Ma motivation
suprême ne consiste pas à accumuler de l'argent.
Mais je n'ai pas de problème non plus avec ceux
que cela rend heureux.
La provocation est au service
du passage de l'idée.
Pourquoi vous être ensuite dirigé vers le
textile et la mode ?
C'était un choix défensif. En 1981, j'étais professeur
associé à HEC, patron de l'option marketing. Bien
que ne faisant pas partie du sérail, ma progression
avait été rapide. J'avais coché toutes les cases :
doctorat, programme international à Harvard,
j'avais deux publications à mon actif... Mais j'avais
le sentiment que mon avancement serait freiné
tôt ou tard. J'ai alors saisi l'opportunité de travailler
pour l'Institut du développement industriel sur
une mission de restructuration du groupe textile
Boussac.
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Quels ont été vos principaux faits d'armes
dans ce secteur qui vous a occupé vingt ans ?
Je pourrais dire que j'ai dirigé Yves Saint Laurent
pendant cinq ans, lancé Kenzo Homme, avant de
racheter Tehen... Mais je me suis surtout coltiné de
sacrées panades ! J'ai été le premier à fermer des
usines françaises pour fabriquer des chemises
Yves Saint Laurent au Maroc. Chez Boussac, en
dix-huit mois, j'avais déjà dû licencier 3 500 personnes
sur 10 000 sur le périmètre dont j'étais
responsable. Aucun investissement n'avait été réalisé
les douze années précédentes : il n'y avait pas
d'autre solution. J'ai assumé. La France des Trente
Glorieuses a vu se déployer un capitalisme frénétique
: les grands industriels ont investi uniquement
là où ils étaient assurés d'obtenir un
rendement maximum. Ma génération, celle des
premiers gestionnaires sortis d'école de commerce,
a été embauchée pour faire le job. Nous
l'avons fait. Mais il faut prendre en considération
l'état du tissu industriel dont nous avons hérité...
Nous n'étions pas non plus surpayés à l'époque !
En 1976, le salaire mensuel d'un jeune diplômé
NEOMA était d'environ 3 200 francs (500 euros) :
l'équivalent de la bague de fiançailles de ma
femme. Aujourd'hui le rapport est plutôt d'1 à 2 -
encore moins si vous achetez chez Mauboussin !
(rires) Mon premier appartement, j'ai pu l'acquérir
uniquement grâce à l'inflation, qui dépassait les
12 %. Les prêts bancaires étudiants n'existaient pas
non plus à l'époque. Comprenez bien : je ne me
plains de rien. Mais je trouve assez déplaisant que
notre génération soit constamment sous le feu des
critiques. Nous avons fait ce que nous pouvions
avec ce que nous avions.
Qu'est-ce qui vous a mené à Mauboussin ?
Encore un choix défensif : en 2002, la maison affichait
20 millions de pertes pour 12 millions de
chiffre d'affaires. Je ne courais pas un risque majeur
de faire pire ! J'ai quand même mis deux ans à
revenir à 600 000 euros de pertes. Et là encore, j'ai
fait le job : en six mois, les effectifs sont passés de
144 à 23. Mais aujourd'hui nous sommes 350, avec
un chiffre d'affaires de 85 millions d'euros pour 15 %
environ d'EBITDA. Mauboussin a été ma divine
surprise. J'y suis entré en CDD pour six mois, puis
j'ai prolongé d'un an, pris en main sa direction artistique...
et finalement j'y suis resté.
Quelle a été votre stratégie de redressement ?
J'ai analysé la situation. La haute joaillerie est un
métier qui consiste à fabriquer des trophées
ostentatoires que des hommes richissimes offrent
à d'autres trophées - leurs compagnes - afin de
démontrer leur puissance. Mais la société a
changé : les femmes modernes sont autonomes,
maîtresses de leur vie et de leur consommation.
J'ai donc recentré la création et le marketing de
Mauboussin pour m'adresser à elles. Contrairement
à ce qui a été dit, je n'ai pas souhaité « démo
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