ParaMag - n°353 - Octobre 2016 - 48

RÉFLEXION

L'ESSENTIEL
DU CIERGE
Par Yves-Marie Guillaud

«À quoi bon ?» disent les «aquoibonistes» raillés par Jane Birkin dans
une chanson de Serge Gainsbourg. Oui, à quoi bon sauter en parachute ?
Certains moments sont propices à la réflexion sur le parachutisme
lui-même.

«La première fois que tu sautes en parachute,
tout le monde te prend pour un héros, la dixième
fois pour un gars qui a de gros problèmes,
la cinquantième fois pour un malade incurable.»
Ces propos mi-sérieux mi-badins, rapportés dans
un livre canadien publié en 1973, sont encore
parfaitement d'actualité. La plupart des nonparachutistes se demandent bien, en effet,
pourquoi un individu sensé prend à répétition le
risque inouï de quitter un avion en état de vol pour
tomber vers la terre à une vitesse folle.
Et après tout, peut-être est-ce la seule question
valable à propos du parachutisme, la question de
fond qui résume toutes celles concernant la
motivation des parachutistes. Car au fond, que
recherchent les parachutistes, souvent
inconsciemment, et que trouvent-t-ils ?
La réflexion ne doit pas s'arrêter à toutes les
réponses immédiates : plaisir, fierté...qui ne sont
que l'apparence, pas la cause. Antoine de SaintExupéry l'a bien écrit : «Ainsi l'essentiel du cierge
n'est point la cire qui laisse des traces, mais la
lumière». (Citadelle)
Au-delà de la technique et du plaisir, de cette
«cire qui laisse des traces», quelle «lumière» le
parachutisme offre-t-il à ses adeptes ? Nique à la
mort, désir freudien de la mort : généralement les
explications qui dépassent l'apparence pour
aborder la cause tournent autour de l'idée
de la fascination de la mort.
Pourtant il faut aller encore plus loin, au-delà de ce
qui n'est peut-être encore que l'apparence de la
cause, faire appel aux enseignements de la science
et à ses limites. Dans les années soixante, la
science pensait pouvoir tout expliquer de l'homme
et de l'univers. C'était le «hasard et la nécessité»,
titre d'un livre du professeur Jacques Monod,
prix Nobel en 1965. Toute chose était fonction du
hasard ou de la nécessité. Ce qui n'était pas
encore explicable le serait à terme,
par la recherche scientifique.

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Pourtant, presque trente ans plus tard, la science
a fait des découvertes époustouflantes qui ont au
contraire ramené l'homme à beaucoup plus
d'humilité. Les scientifiques ont admis
l'inexplicable.
L'homme sait avec une quasi-certitude (encore
que...) que toutes les matières de l'univers sont le
fruit du «big-bang», cette gigantesque explosion

initiale d'un conglomérat de matières primaires,
il y a douze à quinze milliards d'années. Il sait que
les étoiles sont mortelles et que le soleil, source de
sa propre vie, s'éteindra dans quelques cinq
milliards d'années.
Dans cette évolution de l'univers, l'homme ne
représente qu'une parenthèse infinitésimale tant
dans le lieu (la planète Terre) que dans le temps,
guère plus de 50.000 ans pour l'homo-sapiens.
En plus, la matière est composée essentiellement
de vide et se trouve même en permanence
traversée par des particules, les neutrinos, sans
charge électrique et presque sans masse,
qui ne sont absorbées par rien.
Aussi, au milieu de tout ce vide, se pose avec
de plus en plus d'acuité, le problème de la place
de l'homme, voire même de son existence en tant
que force de conscience. Il apparaît alors que la
science n'explique pas tout : elle n'explique que la
mécanique, la «cire du cierge». Mais elle est
muette face à l'essentiel, à la «lumière du cierge».
La science n'explique pas ce qu'est la vie, ce
supplément qui fait qu'un amas de matières issues
du big-bang est capable de s'organiser pour
réfléchir, raisonner, décider... Et vivre.
Il apparaît vite que même la définition de la vie est
impossible. Le dictionnaire Larousse s'y heurte en la
réduisant à un misérable «espace de temps depuis
la naissance jusqu'à la mort». En réalité, la vie ne
peut être ni définie, ni expliquée. Elle se ressent.
Et l'homme moderne, scientifique comme il ne l'a
jamais été, ne peut rien faire d'autre que de
ressentir sa propre vie. Or la vie ne peut tellement
pas être appréhendée qu'elle ne peut se ressentir
que par contraste. Par contraste avec son contraire :
la mort.
C'est là où se trouve l'explication du pourquoi du
parachutisme. En acceptant et en éprouvant le
risque direct, palpable, sensible du parachutisme,
qui est un risque de mort, le parachutiste ressent
la vie. Par sensibilité, il touche à l'essentiel.
Le parachutisme est un hymne à la vie. Il est même
plus que cela. En ressentant la vie, en ayant la
preuve sensitive de l'existence de la vie,
le parachutiste saisit ce qui peut-être survit à la
mort. Si la vie existe au-delà d'une simple
agglomération de matière, peut-être subsiste-t-elle
après la désagrégation de cette matière.
Le parachutisme est peut-être un hymne
à la vie éternelle. ■
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