ParaMag - n°357 - Février 2017 - 40

DOSSIER

"Sauter d'un avion représente souvent
pour le profane un acte extrême dont
la charge d'adrénaline dépasse de loin
celle de n'importe quel manège
à sensations."
Durant l'été 2014 à Propriano,
en Corse, une passagère tandem
écoute les encouragements
de son moniteur (Éric Plessis),
avant de se jeter dans le vide.
Photo Bruno Passe

l'incroyable, vers le beau, mais aussi vers
le danger. Nous avons le désir de vivre
l'expérience du saut, mais le risque qui y
est associé fait peur.
Lorsque l'on nourrit des sentiments
contradictoires à l'égard d'une situation
donnée, cela crée une tension psychique. Si notre cerveau était un ordinateur (ce qu'il n'est pas!) il devrait réaliser
deux actions contraires en même temps.
Une situation épineuse qui peut se finir
par un «plantage» du système.
Pour se protéger, le psychisme utilise un
autre mécanisme de défense afin de
gérer ces sentiments contradictoires :
le clivage. Ce mécanisme de défense
cloisonne l'esprit à l'image d'un pays
qu'on coupe en deux à l'aide d'un mur,
afin d'en séparer les peuplades ennemies. Ainsi cohabitent de manière
indépendante dans le psychisme deux
désirs opposés dans leur point de visée.
L'un cherchant la satisfaction (désir de
vivre l'expérience), l'autre tenant compte
de la réalité (la peur instinctive
du danger).

Le rôle du clivage

Février17:357
paramag.fr

Le clivage a une fonction importante.
Il permet de penser, de réfléchir
et d'organiser les tâches motrices que
l'on a à accomplir en isolant avec plus
ou moins d'efficacité l'émotion qui y est
liée. Il permet au parachutiste de pouvoir
réfléchir, d'avoir un jugement sur la
situation présente et d'initier des actions
adaptées malgré la présence de peurs
qui s'y opposent. Ce mécanisme est
particulièrement utile lors des sauts de
formation PAC. À ce stade, le novice doit
assimiler un nombre important d'informations et ne peut s'appuyer sur aucun
automatisme puisqu'il n'a pas
d'expérience. De ce fait, il doit dédier
un maximum d'attention aux processus
intellectuels et moteurs, tout en étant
parasité le moins possible par l'affect
et par la peur.

L'angoisse n'est pas la peur. La peur a
toujours un objet qui la caractérise.
Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit
de la peur de mourir. L'angoisse est pour
sa part liée au processus de clivage.
Elle commence à se manifester à partir
du moment où l'on fait le choix contre
nature de sauter en parachute. Elle nait
de manière imperceptible au moment où
l'on pose une date pour l'événement
et évolue de manière variable,
mais croissante jusqu'au franchissement
de la porte de l'avion à 4000m.

"L'angoisse
n'est pas la
peur.
Elle est liée
au processus
de clivage."
Avant d'en arriver là, l'arrivée sur la zone
de saut constitue un palier psychique
important. En quelques instants, le saut
en parachute devient concret. Ce qui
était jusque-là imaginé devient réel.
La découverte de l'avion, du matériel, la
rencontre avec le moniteur et surtout être
le témoin du baptême des autres, rend la
situation très réaliste, car le saut est plus
ou moins imminent. L'angoisse se fait
alors plus présente.

Le calme et le discours bien rodé des
moniteurs atténuent légèrement les inquiétudes. Mais cela peut avoir l'effet inverse; cela dépend du sens de l'humour
du moniteur ! En général, à l'aide des explications de ce dernier, le sautant peut
se représenter mentalement le déroulement du saut et rationaliser davantage
grâce au mécanisme de clivage.
Au fur et à mesure que l'avion gagne en
altitude, l'angoisse et la peur gagnent en
intensité. L'ouverture de la porte balaye
les dernières fanfaronnades et les sourires plus ou moins figés qui s'affichent
«face caméra» trahissent un état émotionnel bouleversé.
Assis à la porte face au vide, l'esprit est
en ébullition. L'espace d'un instant, le
baptisant pense qu'il va perdre la vie ou
tout au moins, la réalité de ce qu'il vit
tend à le lui faire croire.

Passer la porte
Le franchissement de la porte marque
une étape décisive sur le plan psychique.
Il est le point de non-retour de l'action. Il
ne signe pas pour autant la fin du clivage
même s'il ne s'agit plus de savoir s'il faut
sauter ou pas.
Les dix premières secondes qui suivent
la sortie sont les plus intenses émotionnellement. L'accélération et les pirouettes
produisent une perte de repères spatiaux
qui cesse au fur et à mesure que la position et la vitesse se stabilisent. Le sourire
qui s'affiche alors traduit le bonheur de
vivre un moment extra-ordinaire en chute
puis sous voile.
Le scénario précédent est le plus fréquent. Pourtant, certaines personnes
sont aguerries aux sensations extrêmes

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