ParaMag - N°368 - Janvier 2018 - 18

HOMMAGE

HOMMAGE
À FRANCIS HEILMANN
Par Bruno Passe, Françoise Hurlin, Irène Passeron

La rédaction de ParaMag est en deuil.
Francis Heilmann nous a quittés le 30 novembre dernier.
Il était âgé de 61 ans.

Parachutiste et parapentiste très confirmé,
cette fois Francis n'a pas réussi à se
sortir d'un mauvais courant descendant,
sur terre, lui qui savait si bien dénicher
et enrouler les thermiques, dans le ciel,
pour reprendre de la hauteur, sous son
parapente ou sous parachute hybride.
Au creux d'une mauvaise passe,
Francis a mis fin à ses jours.
À l'image de la chute libre, on dirait qu'il
est descendu trop bas, à tel point qu'il
n'était plus question d'ouvrir son parachute... Comme Mike, la vedette du
film américain «Les parachutistes
arrivent» (The Gypsy Moths, 1969,
film que Francis appréciait tant),
interprétée par le charismatique Burt
Lancaster, qui s'est retrouvé comme
aspiré par le sol en exécutant son
fameux «saut à la cape», sorte de
wingsuit préhistorique.
La première contribution de Francis
Heilmann dans ParaMag date de 2001,
ParaMag n°169 de juin 2001, avec un
premier topo de vol en wingsuit, façon
vol libre. Il s'agissait de sa propre traversée du golf de Propriano, en Corse,
en wingsuit, 6 km de vol en pleine mer,
durant un stage organisé par Jacques
d'Ortoli. Le site était moins connu qu'aujourd'hui, la technique de la wingsuit
beaucoup moins affûtée, mais pour
Francis il ne s'agissait pas d'un exploit,
juste d'un entraînement. Car en 2002,
il tentait une vraie traversée maritime
Corse-Sardaigne, sur 14 km,
dont 12 au-dessus de l'eau.

Janvier18:368
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C'est donc une collaboration de plus de
quinze ans qui s'achève brutalement.
Francis était devenu en quelque sorte
notre historien du parachutisme, produisant de nombreux articles sur des sujets
datant de plus de 50 ans, voire plus de
100 ans. Le plus souvent, il le faisait
au moment opportun, en trouvant un
rapport avec l'actualité.
Lorsqu'Alan Eustace établit un nouveau record surprise à 41.420 mètres,
en 2014, battant le célèbre record de
hauteur de Felix Baumgartner (39.045
mètres), c'était grâce à une technique

spéciale «embarqué sous le ballon» et
non pas dans une capsule «hight tech».
En seulement quelques semaines, Francis «dégainait» un sujet historique : «Il y
a 100 ans... Suspendus sous le ballon».
Il y expliquait avec précision, informations détaillées et documents d'époque
à l'appui, largement commentés et
légendés, que la technique qui fut une
des clefs du succès d'Eustace était déjà
connue et utilisée il y a bien longtemps.
Francis était autant auteur de sujets parachutistes qu'il en était l'acteur. Pionnier
de la wingsuit, en 1997 il était aux côtés
de Patrick de Gayardon dès les premières heures de la discipline.
Il développait en parallèle son propre
modèle de combinaison ailée semirigide, l'Aircat, qui était très performant
pour l'époque.
Même chose dans l'activité parapente,
rédacteur pour la presse spécialisée,
Francis en était aussi acteur : d'abord
comme pratiquant de loisir. C'est lui qui
contribua au développement du vol libre
sur la montagne Sainte-Victoire, au pied
de laquelle il vivait, et là où il a choisi de
mourir. Acteur et aussi pionnier, avec le
développement des premiers modèles
hybrides parachute-parapente.
Là où les réalisations de Francis ont
connu le plus grand succès, c'est lors
de la coupe Icare, avec ses incroyables
créations pour le fameux concours de
déguisement, et sur une période d'une
vingtaine d'années. Des engins toujours
plus fous, toujours plus grands, «des
flirts annuels avec les limites» comme le
dit Pierre-Paul Ménégoz, présentateur de
la coupe Icare et un de ses admirateurs,
dans un récent hommage.
Francis a conçu, fabriqué et piloté luimême 18 engins différents. Il s'agissait
surtout de surprendre le jury et de
distraire le public de la Coupe Icare,
sans afficher de prise de risque. Car sur
les 18 engins, 16 ont décollé du premier
coup, devant le public. Seul l'avion de
2015 n'a pas décollé la première fois, à
cause des mauvaises conditions météorologiques, mais il a bien volé en 2016.

Photo ci-dessus
Coupe Icare 2010 : Quelques minutes avant de
décoller avec un engin géant de sa construction,
Francis s'exprime devant le public nombreux de la
Coupe Icare. Cette année-là, Francis avait choisi le
thème de l'hydravion Canard d'Henri Fabre, reconstruit et revisité en commémoration du centenaire
du premier vol de l'appareil, le 28 mars 1910.
Les engins n'étaient jamais testés avant la
démonstration, à cause du risque de casse.
Photo Françoise Hurlin

En 2017, le Soleil Smiley géant de 7
mètres de haut et 16 mètres de long,
construit pour la Région AuvergneRhône-Alpes et présenté récemment
en photo dans le ParaMag n°366 de
novembre dernier, n'a pas décollé.
Palliant au manque de vent ce jour-là,
Francis avait prévu d'être aidé par deux
assistants pour prendre de la vitesse.
Mais dans la phase d'envol, alors qu'il ne
touchait déjà plus le sol, un des assistants n'a pas lâché la corde et a précipité
le soleil dans les souches, avec à la clé
une chute brutale ; Francis a serré les
dents et le lendemain, il volait avec un
autre engin de sa confection, oblitérant
la douleur pourtant vive : the show must
go on !
Mais la facture personnelle lui était déjà
parvenue : deux vertèbres tassées plus
des complications. Le dernier message
de Francis à la rédaction de ParaMag
disait ceci : « ...ça fait partie du job
normal... ça ira mieux un peu plus
tard,... Du coup on a gardé le Soleil pour
l'année prochaine, et j'ai fait voler un
gros tube le dimanche.»
Le soleil de Francis ne brillera jamais
plus sur la Coupe Icare.
ParaMag est triste de la perte d'un de
ses collaborateurs les plus fidèles et
expérimentés, mesurant au passage la
perte humaine, mais aussi le niveau de

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