La revue RH&M - N°74 - Juillet 2019 - 62

| LU POUR VOUS |
Par JEAN-MICHEL GARRIGUES, Directeur des Ressources Humaines
et du développement, BLB Associés

PASSION
DE LA FRANCE
Jean-Pierre Chevènement - Robert Laffont (2019)

V

oici un commentaire à
double titre singulier :
cet ouvrage compte
plus de 1.500 pages, et
seul le papier bible de
la collection Bouquins
en rend la préhension aisée. Ensuite,
son auteur est un homme politique
dont la carrière a traversé plus d'un
demi-siècle, sans pour autant, ni se
départir d'une dignité qui l'honore,
ni agréger à ses idées de quoi transformer un courant d'opinion somme
toute marginal en une adhésion populaire, qui l'aurait mené aux sommets
du pouvoir.
Une somme peu ordinaire
Ce volume illustre les moments forts
de l'expression publique de l'auteur :
discours, écrits, interviews, conférences, balayant le spectre de tout le
siècle dernier et le début de l'actuel.
La description d'une époque, le récit
d'une atmosphère, nimbés d'une
culture majeure et d'un style dense
mais toujours accessible. Quel plaisir
de lire une expression française aussi
maîtrisée !
Sans devoir évidemment partager les
opinions politiques de l'auteur, la découverte progressive de cette épaisse
œuvre éclaire de nombreux faits de
l'histoire, petite et grande, et enrichit
le lecteur même averti, c'est aussi
l'avantage d'un témoin engagé. Tout
de l'histoire politique y est présent :
générale (nationale et internationale),
et particulière (individuelle et conceptuelle).

P.62 | JUILLET 2019 | N°74 LA REVUE RH&M

Globalement, suivre cette itinérance
de pensée et d'âme est passionnant.
Voici une belle illustration du débat
démocratique : le lecteur ne partage
pas nécessairement le propos de l'auteur, mais le respecte et le commente.
Une critique étymologique dont la
pratique s'estompe tant aujourd'hui.
Un constat très salutaire
La démonstration de la vulnérabilité française, militaire au siècle
dernier, politique souvent, sociétale
aujourd'hui, est évidente, teintée
d'indignation et parfois de colère. En
ce sens, le propos dépasse largement
la description souverainiste souvent
faite de l'auteur.
D'une nation aux citoyens côte à côte,
nous voici plongés dans un pays aux
résidents face à face. L'exception
est bien culturelle, cultuelle même
pourrait-on dire, au vu des particularismes identitaires religieux. La crise
durable des gilets jaunes y trouve
son origine, dans une opposition stérile entre jacobins et girondins, dans
une décentralisation de l'Etat suivie
d'une constriction du service public
territorial, dans une libéralisation
concurrentielle qui est un enjeu majeur de la construction européenne.
L'arbre cache aussi la forêt : ces
vindictes antimondialistes et
anticontinentalistes ne doivent pas occulter, pour l'auteur, la nécessité d'une
Europe, de l'Atlantique à l'Oural, qui
rend grâce à son rôle de représentant
spécial de la France pour la Russie.
Notons d'ailleurs avec amusement

que les soutiens naturels de l'auteur,
notamment lors de sa candidature
à l'élection présidentielle de 2002,
transcendaient les clivages politiques
traditionnels, des communistes aux
gaullistes, des républicains aux progressistes, ce qui n'était alors qu'une
coupable précocité, au regard du panorama de l'élection de 2017.
Une vision si nécessaire
Un intérêt majeur de ce livre est de
replacer le débat au niveau des valeurs macro, dépassant les clivages
d'un pays en déshérence identitaire.
Oser évoquer la grandeur de la France,
vouloir une vision majuscule de notre
société est un courage aujourd'hui déliquescent.
Savoir évoquer la crise de l'appartenance nationale, la méconnaissance,
par tant de concitoyens, de leurs droits
et de leurs devoirs, la juxtaposition des
replis et le processus « d'archipélisation  » (Jérôme Fourquet) n'est pas
le moindre mérite de l'auteur, qui
n'a jamais hésité à se démettre des
ses fonctions ministérielles quand
se soumettre ne lui était plus accessible. Bravo à cette conception
républicaine de la nation, qui se veut
rempart contre l'extrémisme et tremplin d'une refondation collective. La
lecture de ce volume (au sens propre
du terme...) est un acte de foi en un
avenir meilleur, ensemble, une chance
somme toute aussi improbable d'un
lendemain crédible que sont avérés les
risques d'une sécession régressive du
quotidien d'aujourd'hui.
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