La revue RH&M - N°75 - Octobre 2019 - 36

Performance sociale
Conseils en droit social

Harcèlement, le piège
distendre la relation sociale. Dans de
telles circonstances, et si l'employeur
est poursuivi pour des accusations de
harcèlement moral, ne faut-il pas admettre que le comportement du salarié
protégé n'est pas totalement étranger à
cette situation et, qu'en d'autres termes,
le juge doit faire preuve de justesse dans
son appréciation lorsqu'il est saisi d'une
plainte d'un salarié protégé pour un cas
de harcèlement moral ?

NICOLAS
MANCRET
Avocat Associé,
Hoche Société
d'Avocats

S

ur le sujet épineux du
harcèlement moral, la jurisprudence sociale n'en
finit pas d'en construire les
contours. Il est des hypothèses dans lesquelles l'employeur est
exposé à des rapports professionnels
difficiles avec les élus du personnel.
D'un côté, la liberté de ton et la protection dont bénéficient les salariés
protégés offrent beaucoup d'opportunité pour provoquer les employeurs et
parfois même les pousser à bout lors
des réunions avec les instances représentatives du personnel.
De l'autre côté, le représentant de l'employeur excédé, peut parfois commettre
l'irréparable en multipliant les récriminations et reproches contre un salarié
protégé lorsqu'il a le sentiment que
ce dernier profite de sa situation pour

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C'est la solution qui avait été retenue par
la Cour d'appel de Versailles dans une
affaire où le harcèlement et la discrimination étaient constitués. Néanmoins,
le montant des dommages-intérêts
alloués par les juges avait été singulièrement réduit au motif que le salarié
protégé « avait pu contribuer par son
propre comportement lors des réunions... à la dégradation des conditions
de travail ».
A l'appui de cette motivation inédite,
la Cour d'appel se fondait sur l'article L.4122-1, al.1 du Code du travail
qui dispose que « conformément aux
instructions qui lui sont données par
l'employeur, dans les conditions prévues au règlement intérieur pour les
entreprises tenues d'en élaborer un,
il incombe à chaque travailleur de
prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé
et de sa sécurité ainsi que de celles des
autres personnes concernées par ses
actes ou ses omissions au travail ».
Toutefois, le salarié mécontent de cette
décision a formé un pourvoi et la décision prononcée par la Chambre Sociale
de la Cour de cassation est singulièrement différente.

Dans une motivation très lacunaire, la
haute juridiction rappelle que l'article
L.4122-1 précité comporte également
un 3ème alinéa rédigé comme suit :
« les dispositions du premier alinéa
sont sans incidence sur le principe de
la responsabilité de l'employeur ».
Sur le fondement de ce texte, la
Chambre Sociale vient décider qu'en
toute situation, l'employeur reste
responsable de veiller à la santé et la
sécurité des salariés et, qu'en d'autres
termes, cette obligation doit prévaloir
sur l'appréciation du comportement du
salarié, fût-il à l'origine de la dégradation de son état de santé.
Cette décision (Cass.Soc. 13 juin 2019,
n°18-11.115), largement commentée
par la doctrine, est sévère puisqu'en
l'espèce, la Cour d'appel a été sanctionnée pour avoir réduit le montant des
dommages-intérêts alloués au salarié
protégé au prétexte que son comportement avait également contribué à la
dégradation de son état de santé.
L'arrêt de la Cour de cassation permet
de tirer un premier enseignement : le
comportement du salarié victime de
harcèlement ne permet pas de réduire
son indemnisation à partir du moment
où le harcèlement est caractérisé par le
juge. En d'autres termes, l'appréciation
faite par le juge est assez binaire : soit
le harcèlement est constitué et l'employeur est lourdement condamné, sans
pouvoir se défendre en justifiant que le
salarié n'a pas été exemplaire, soit le
harcèlement n'est pas reconnu et l'employeur échappe à toute condamnation.
Cette analyse conduit donc à redoubler
de vigilance.
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