La revue RH&M - N°75 - Octobre 2019 - 66

Le coup de gueule d´Hervé SÉRIEYX

C'est vraiment
intéressant, ce qu'il fait !

L

es équipes suédoises qui passent
leur temps chaque année à écumer la
planète pour identifier les éventuels
nobélisables, singulièrement dans le
domaine de l'économie et des sciences
dures, s'étonnent toujours de la façon
dont elles sont reçues dans les multiples
laboratoires français. Alors que dans
les pays de culture anglo-saxonne, on s'accorde pour
signaler, de proche en proche, ceux qui semblent les
plus à la pointe de la recherche et qu'il faudrait donc
distinguer, les labos de chez nous, à la gauloise, ne
cessent de s'entre critiquer et d'exprimer tout le mal
qu'ils pensent des chercheurs les plus émergeants.

Cet imbécile syndrome d'Astérix nous fait évidemment
du tort. L'auteur de ces lignes, qui fut pendant trois ans
Professeur associé, à plein temps, dans une Université
d'Ile de France n'en est pas surpris : les batailles d'égos
entre universitaires dépassent de beaucoup en aigreur
et en détestation réciproque les conflits entre politiques
ou entre syndicalistes. Le monde économique, quant
à lui, est sans doute le plus pacifique tant ses critères
sont simples, liés à des résultats observables et connus
de tous.
La fracturation actuelle de la société française -
son « archipellisation », selon l'analyse de Jérôme
Fourquet- ne viendrait-elle pas de notre incapacité,
quasi congénitale, à reconnaître les mérites des autres,
leurs talents et la qualité de leurs réalisations ? Jules
Renard écrivait déjà qu'en France, « Ce n'est pas le tout
d'être heureux, encore faut-il que les autres ne le soient
pas ! ». Un merveilleux slogan pour Gilets jaunes. La
jalousie, l'ignorance et l'interpellation acrimonieuse
de l'autre deviennent un puissant moteur de l'action
politique que les règles et les normes de la démocratie
semblent de moins en moins capables de contenir.
L'«  edwyplenelisation  » généralisée de la société
(« Toute personne qui accepte une responsabilité cache
forcément une turpitude : il suffit de la chercher  »)
accroît évidemment aussi les réticences de chacun

P.66 | OCTOBRE 2019 | N°75 LA REVUE RH&M

vis-à-vis de ceux qui acceptent des mandats politiques,
économiques ou sociaux. Tous ces maires qui annoncent,
d'ores et déjà, qu'ils ne se représenteront plus, ne font
qu'exprimer le gigantesque ras le bol qu'ils éprouvent
face à la double contrainte dans laquelle les enferment
une décentralisation des missions sans disposer des
atouts pour les assumer et des habitants de plus en plus
exigeants : ces maires ont de moins en moins de moyens
alors qu'ils sont de plus en plus responsables de tout et
critiqués par tous.
Serait-il possible que les citoyens de notre pays adoptent
parfois le regard de Montaigne plutôt que celui de
Voltaire ? Pourraient-ils regarder, au moins pendant
quelques années - 4 ou 5 ans par exemple- ce qui va bien
plutôt que ce qui va mal ? Pourraient-ils s'intéresser aux
initiatives porteuses d'avenir, nombreuses en particulier
dans le monde de la recherche, celui des associations
mais aussi dans celui des entreprises ? Et même si cela
contredit notre code génétique, semble-t-il conçu pour
produire à flux tendu de la critique systématique et
du dézingage à tout crin, ne serait-il pas possible que
parfois, ensemble, nous disions , à propos de qui prend
telle initiative politique, scientifique, économique,
technologique, écologique ou sociale : « Tiens, c'est
vraiment intéressant, ce qu'il fait » ?
À moins que nous ne soyons définitivement résignés à
disparaître dans notre sottise collective... 

Hervé SÉRIEYX
Co-auteur de "Alarme, citoyens ! Sinon, aux larmes !
(Manifeste pour une France vénitienne)"
La revue RH&M - N°75 - Octobre 2019

Table des matières de la publication La revue RH&M - N°75 - Octobre 2019
